La souffrance animale, une préoccupation humaine

La souffrance animale, une préoccupation humaine

S’invitant tous les jours dans l’actualité, les notions de « bien-être » animal et des souffrances que peuvent ressentir les bêtes sont incontestablement des notions que le chasseur ne saurait ignorer. Éclairons ce sujet complexe.

RIEN DE NOUVEAU

La modernité, c’est parfois l’art de découvrir ce que l’on savait déjà. Le traitement réservé à la notion de souffrance animale est un exemple édifiant de cette proposition en apparence paradoxale. Car ladite notion a pénétré en profondeur, non seulement les mentalités, mais aussi la sphère politique et juridique : du citoyen lambda au plus discret élu de la République, chacun est dorénavant obsédé par l’idée que nos amies les bêtes sont susceptibles de ressentir de la douleur et qu’il est, au XXIème siècle, moralement inacceptable de n’en pas tenir, ou de n’en pas assez tenir compte.

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De nombreux naturalistes, éthologues et chercheurs en écologie le clament en effet avec force : c’est « prouvé scientifiquement ! » Ils le répètent à l’envi. « Prouvé » ? Qu’est-ce à dire ?
Réponse : lorsqu’on frappe un chien ou qu’un faisan est enserré vif dans le gueule d’un renard, le chien et le faisan… ont mal. Oui, c’est la science qui l’affirme. Ah, l’art de découvrir ce que l’on savait déjà ! Car comment croire une seule seconde que nos aïeux, même les plus lointains, méconnaissaient la dimension « sensible » des animaux ? L’expérience empirique la plus quotidienne a, depuis longtemps, délivré cette vérité à l’humanité. Mais, pourquoi donc laisser entendre que ce n’était pas le cas ?
Réponse : lorsqu’on prétend faire œuvre de progrès, il est stratégiquement inévitable de montrer, au préalable, que l’on s’érige contre des modes de vie ou des forces intrinsèquement gangrénés par l’obscurantisme.

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Peinture rupestre des premiers chasseurs.

UNE RÉVOLUTION

Ainsi procèdent les animalistes de tout poil : l’ancienne humanité n’était pas éclairée ; elle n’avait pas conscience de ce qui nous rapproche intimement des animaux ; elle croupissait dans une attitude anthropocentriste qu’il convient à présent de dépasser. Sauf que cette ancienne humanité percluse d’obscurantisme renvoie, à l’échelle des millénaires, à une quantité littéralement astronomique de générations d’êtres humains et de civilisations qui se sont construites dans les parages de l’animal, domestique, de rente ou sauvage. Les conséquences de l’adoption d’une telle perspective sont donc incalculables, parce qu’elles ne relèvent pas uniquement d’un débat de société mais d’une révolution anthropologique majeure.

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VERS LA FIN DES RELATIONS HOMME/ANIMAL ?

Au nom de la sensibilité animale, jamais la consommation d’aliments carnés n’a été autant attaquée : quoiqu’encore très minoritaires, les partisans du véganisme bénéficient d’une visibilité si étendue que leur idéologie, puissamment prosélyte, deviendra à moyen terme une réelle force d’opinion avec laquelle nous devrons composer. Dernier exemple en date : la parution, le 4 octobre dernier, de la « Déclaration de Montréal sur l’exploitation animale », signée par presque cinq cents « chercheurs et chercheuses en philosophie morale et politique » issus d’universités du monde entier. Ce que réclamait cette tribune ? « Parce que l’exploitation animale nuit aux animaux sans nécessité, elle est foncièrement injuste. Il est donc essentiel d’œuvrer à sa disparition, en visant notamment la fermeture des abattoirs, l’interdiction de la pêche et le développement d’une agriculture végétale ».

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Crédit photo : Gilles DE VALICOURT

La logique de ce texte est imparable : dans la mesure où l’animal partage avec nous la qualité d’être « sentient* », la morale nous commande de ne le discriminer en aucune manière et, surtout, de ne pas contrevenir aux « intérêts » qui sont les siens, le premier d’entre eux étant celui de vivre sans avoir, du reste, à subir de notre part des souffrances non nécessaires. On aura sans doute reconnu, dans tout ce charabia, la marque de l’antispécisme. De fait, certaines universités sont de très efficaces incubateurs idéologiques, nous l’oublions trop souvent, alors même que la théorie du genre, l’inclusivisme, l’écoféminisme et autres dogmes déconstructivistes (dont l’antispécisme est un proche parent) y sont nés, et qu’ils prennent, aujourd’hui, une place non négligeable dans l’espace médiatique et politique.

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LA CHASSE EN PREMIÈRE LIGNE

Mais, ce mouvement émancipateur ne s’arrête pas là. La chasse est une cible privilégiée. Si l’animal est d’abord un être sensible avant d’être quoi que ce soit d’autre, impossible de justifier que nous puissions le traquer ou tuer. Nous ferons grâce au lecteur de la longue liste des attaques que la cynégétique essuie en ce moment, hormis deux dernières en date qui ont fait grand bruit. Qui n’a entendu parler de la pétition soumise au Sénat destinée à faire interdire le déterrage du blaireau ? Le seuil des 100 000 signatures ayant été atteint, les parlementaires sont dans l’obligation de considérer les doléances formulées par Marc GIRAUD, porte-parole de l’ASPAS et initiateur de la requête. Cette « pratique de chasse [est], écrit-il, violente, inutile, non sélective et incompatible avec la reconnaissance des animaux comme êtres sensibles ».

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Second exemple : déposée le 3 octobre par Hélène Thouy, avocate de l’association L214 et cofondatrice du Parti animaliste, une autre pétition réclame carrément « l’interdiction définitive » de toute la vénerie, au motif qu’il s’agirait, là encore, d’un « loisir dépassé, inutile et cruel, qui va à l’encontre de la reconnaissance scientifique des animaux comme êtres sensibles ». Notons qu’à l’heure où nous rédigeons ces lignes, 8000 personnes environ ont déjà signé, et qu’il est possible de le faire, donc, jusqu’au 3 avril 2023.

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Crédit photo : Stéphan LEVOYE

TROP D’ÉMOTION

Nous n’évoquerons pas l’épineux problème institutionnel que pose le principe même de ce libre dépôt de pétitions. Reste que les animalistes ont bien compris le parti qu’ils pouvaient en tirer ; à l’avenir, ce type d’attaques se multipliera, le plus légalement du monde. Ce que nous voulons souligner relève plutôt de l’argumentaire déployé dans l’un et l’autre cas et, osons le dire, dans tous les cas dès lors qu’il est question des animaux. Il se réduit à cette thèse : l’animal est sensible, sinon sentient. Tous les autres éléments sont secondaires. Or, c’est à la teneur de ces quelques mots que nous devons nous confronter. Fi, en premier lieu, de la chasse qui serait légitime parce qu’utile ! Les chasseurs sont-ils animés par l’impérieux désir de remplir une ou des fonctions lorsqu’ils chassent ? Non : c’est confondre cause et conséquences. Nous aurons beau répéter qu’ils sont des écologistes de terrain : cela n’y changera rien. Notre seule option est de répondre au procès intenté à l’humanité entière de ne pas assez tenir compte de la sensibilité animale.

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Crédit photo : Gilles DE VALICOURT

N’oublions pas que, dans notre pays, le code rural reconnaît à l’animal domestique ou sauvage apprivoisé, ou tenu en captivité, la qualité d’être sensible et que, depuis 2015, le code civil qualifie l’animal d’être vivant doué de sensibilité. Qu’en sera-t-il lorsque, car cela adviendra probablement, la loi reconnaîtra le même statut à l’animal sauvage ? C’en serait fini de la chasse. Ce que nous devons par conséquent opposer à cet état d’esprit qui pénètre les consciences et le monde politico-juridique est d’une extraordinaire simplicité : non, l’animal n’est pas seulement un être sensible, il est plus que cela, tantôt prédateur ou proie, invasif ou discret, opportuniste ou objet d’opportunités, élément fragile d’un écosystème quand il n’est pas le représentant d’une espèce capable de s’adapter à l’évolution de son milieu, il est le support d’une fascinante diversité esthétique, de mille fonctions dans la chaîne alimentaire, chaque animal excédant sa simple condition de réceptacle de la douleur.

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Crédit photo : Gilles DE VALICOURT

L’observation de la nature ne nous enseigne-t-elle rien ? L’aimer, et surtout la respecter, c’est d’abord prendre acte des règles qu’elle impose, la première étant celle du struggle for life** qui régente l’existence entre toutes les espèces. Ensuite : où commence ladite souffrance ? Torturer un animal relève de la psychiatrie ; personne ne le conteste. Si je place mon chat dans un congélateur ou un four allumé, je suis bon pour les tribunaux ou l’asile, à juste titre. Mais, en quoi le fait d’élever cochons ou poulets pour me nourrir m’associe-t-il à un tel comportement ? En quoi le fait de monter à cheval me confère-t-il le statut de tyran ?

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Crédit photo : Gilles DE VALICOURT

En quoi le fait de chasser me confère-t-il celui d’assassin, alors même que je ne fais que reproduire, en tant qu’être humain, et selon certains codes, ce qui a lieu à chaque millième de seconde partout dans la nature ? Est-ce maltraiter une proie que de la considérer comme… une proie ? Être le maître de mon chien est-il en soi condamnable, parce que je le domine ? Le dressage, tout dressage est-il en soi répréhensible ? Nous en sommes là, aujourd’hui.

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Crédit photo : Paul CONSTANCE

C’est un refus en bloc de tous les déconstructivismes que nous devons formuler : au nom de quoi accepterions-nous de ceux-ci l’injonction qu’ils nous adressent de vivre autrement ? Au nom de quelle science confisquée faudrait-il que nous abdiquions nos identités, pire : la singularité essentielle qui fait de nous des hommes, et non pas seulement les représentants d’une espèce parmi les autres ? Lorsque nous chassons, pêchons, montons ou élevons, nous refusons de facto de réduire l’animal à ses qualités sensibles. Nous le considérons, au contraire, comme une altérité avec laquelle nous sommes parvenus, au fil des millénaires, à entrer de multiples façons et très progressivement en interaction.

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Crédit photo : Gilles DE VALICOURT

Or, n’est-ce pas là le respecter, justement, que de le regarder au-delà de son déterminisme purement biologique ? Saturé d’anthropomorphismes, le traitement infligé au concept de « bien-être animal » est en train d’emprunter une direction inquiétante : celle d’un éloignement de ce qu’est l’animalité, infiniment plus complexe et fascinante que ce à quoi la vague animaliste, par lubie émancipatrice, voudrait la réduire. Instrumentalisée, la notion de souffrance animale n’est pas autre chose qu’un ressort idéologique destiné à accomplir une révolution anthropologique sans précédent. À nous de le démontrer sans relâche et, surtout, de le combattre à l’avenant.

* Sentient : capable de ressentir des émotions.
** Struggle for life : lutte pour la vie.