Jean MASSON, ou la vénerie sous terre

Jean MASSON, ou la vénerie sous terre

Jean MASSON est le président de l’Association Française des Équipages de Vénerie Sous Terre (AFEVST), il s’est confié sur sa passion pour cet art de la chasse bien particulier.

AIR & NATURE : Comment votre passion pour la vénerie sous terre est-elle née ?

Jean MASSON : J’ai découvert la vénerie sous terre en Bourgogne, au gré des rencontres : Christophe DEBOWSKI, qui a été mon maître d’équipage des Halliers de Haute-Bourgogne pendant plusieurs années ; Tony MILES, mon ami anglais, qui m’a confié mes premiers patterdales terriers… Ensuite, mon équipage a été créé en 2009, le Taisson de la Blaise, en Haute-Marne. Nous pratiquons essentiellement la vénerie sous terre du blaireau.

Jean MASSON, ou la vénerie sous terre : photo 2

A&N : Quelle est, selon vous, la singularité de ce mode de chasse ?

JM : S’agissant de la vénerie sous terre, sa singularité tient essentiellement au comportement très particulier du blaireau. Alors que la plupart des gibiers choisissent la fuite devant le prédateur, le blaireau fait le choix de tenir un siège. Là où le grand gibier met de la distance, le blaireau a mis de la matière. C’est le sol qui est censé le protéger. Le blaireau tient donc siège dans un terrier qui a été aménagé par le clan de longue date. Ce terrier n’est pas un simple gîte, c’est un ouvrage complexe, étendu, avec parfois des centaines de mètres de galeries sur plusieurs étages. C’est un véritable labyrinthe avec ses chicanes, goulots d’étranglement, acculs étroits, larges maires (les chambres), cheminées verticales et de nombreux carrefours.

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Le chien doit localiser le blaireau et le tenir en respect avec constance. Le veneur doit localiser son chien et décider de la fosse à creuser pour l’atteindre. Dans cette chasse, le veneur ne s’attaque pas à l’animal. Il s’attaque à son fort, à la matière. Tel un sapeur, le veneur crée une fosse, une brèche, pour descendre sur le petit chien. Si le chien tient l’animal aux abois sans renoncer, si les veneurs arrivent à percer la fosse qui amène au chien, l’animal de chasse pourra être pris.

Pour la prise, l’AFEVST a imposé des techniques de contention qui ne blessent pas l’animal. Ce sont les pinces non vulnérantes. Il faut garder à l’esprit que le blaireau est alors attrapé en pleine possession de ses moyens. Ensuite, selon les recommandations du détenteur du droit de chasse, l’animal est soit gracié, soit servi promptement.

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A&N : Depuis quand êtes-vous président de l’AFEVST, et quels rôles cette association remplit-elle ?

JM : Depuis 2016. L’AFEVST fédère les 1200 équipages de vénerie sous terre, elle assure la promotion des bonnes pratiques et représente notre communauté auprès de la FNC et des pouvoirs publics. L’AFEVST participe aussi à la délivrance des attestations de meute par l’État en donnant un avis sur les capacités des candidats et sur leurs engagements à respecter les bonnes pratiques en signant la charte de l’AFEVST. Ces attestations de meute sont délivrées par l’État pour une période limitée à six ans, le cas échéant renouvelable.

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A&N : Renard, blaireau, ragondin : telles sont les espèces chassées par les veneurs. Pourriez-vous nous parler, pour chacune de ces pratiques, des techniques mises en œuvre, ainsi que des races de chiens utilisées ? À l’instar des autres déclinaisons de la vénerie, chaque meute est-elle créancée dans la voie d’une espèce spécifique ?

JM : Le blaireau est l’animal de vénerie sous terre par excellence. La vénerie sous terre en prélève environ 12 000 par an, ce qui est peu pour un gibier dont les populations sont estimées entre 0,5 et 1 million d’individus en France.
C’est un gibier avec une période de chasse adaptée à son cycle de reproduction. Ce cycle a la particularité d’être plus précoce que celui du grand gibier, centrée sur fin janvier et février. En conséquence, logiquement, la saison ferme plus tôt (15 janvier) et peut ouvrir plus tôt (15 mai).

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Le renard est un animal magique, chassé de multiples manières. Il ne s’attache au terrier qu’à partir du rut en décembre, et ceci jusqu’au sevrage des jeunes début mai. Classé espèce susceptible d’occasionner des dégâts (ESOD, anciennement nuisible) dans 90% des départements, le renard fait l’objet de régulations par déterrage hors des période de chasse. C’est un travail important, notamment pour les territoires cynégétiques dédiés au petit gibier.

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Le ragondin est ESOD partout, car c’est une espèce invasive. Quelques équipages le détruisent en déterrage. Pour se faire, il faut des chiens tenaces et prudents.

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Les chiens utilisés proviennent de lignées sélectionnées pour leur qualité au travail sous terre. Le fox terrier, poil dur (photo ci-dessous) et parfois poil lisse, le teckel, le jack russell dans ses deux types, le jagd terrier sont les races les plus couramment utilisées en vénerie sous terre. Quelques équipages font travailler d’autres chiens comme le welsch terrier, le border terrier ou le patterdale terrier. Les chiens ne sont généralement pas créancés, mais ils peuvent se révéler plus ou moins adaptés à l’un ou l’autre des gibiers.

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A&N : Vous tenez, à juste titre, à distinguer la vénerie sous terre du déterrage à des fins de destruction. Pouvez-vous nous éclairer sur cette distinction ? La vénerie répond à des codes, et l’animal pris n’est pas systématiquement mis à mort.

JM : Cette distinction chasse et destruction est réglementaire. Les espèces gibier se chassent avec une saison qui ferme durant les périodes de reproduction. La chasse doit être pratiquée dans le respect des équilibres agro-sylvo-cynégétiques. À l’inverse, la destruction répond à la nécessité de réduire les populations d’animaux qui sont susceptibles d’occasionner des dégâts. Ces opérations peuvent avoir lieu toute l’année, y compris durant les périodes de reproduction. C’est le cas du déterrage du renard de mars à mai ou du déterrage du ragondin.

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La vénerie sous terre est donc un mode de chasse qui répond à des règles et à des codes culturels communs avec la vénerie. L’usage de la trompe de chasse y est fréquent, les codes vestimentaires, l’organisation des équipages avec un maître d’équipage et des boutons. Une pratique ancienne et bien présente dans la vénerie sous terre est la grâce. Les animaux chassés étant pris sans altération physique, ils peuvent aisément être graciés. Certains animaux ont ainsi été chassés et relâchés à plusieurs reprises. Attention cependant, l’AFEVST recommande clairement de ne pas gracier d’animaux à proximité des cultures.

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A&N : Les attaques contre la chasse sont nombreuses. Les attaques contre la vénerie en général, et contre la vénerie sous terre en particulier, le sont d’autant. Faire souffrir les animaux « inutilement » serait barbare. Que répondez-vous à ceux qui avancent cet argument, précisément, de la « souffrance inutile » ?

JM : La chasse est une occasion majeure de se confronter aux réalités d’une vie sauvage qui n’est pas régie par les marottes des humains ou par un anthropomorphisme mièvre. Dans la vie sauvage, l’idyllique côtoie le tragique, la vie et la mort s’entremêlent. Le prédateur exulte dans la poursuite de la proie ; la proie s’ingénie à tromper le prédateur. En se faisant chasseur, l’homme devient prédateur, il participe ainsi au tumulte de la nature. Il fait alors l’expérience d’être un acteur de la nature et plus seulement un observateur extérieur. Au demeurant, en l’absence de chasse, la mort viendra aussi frapper toute vie. Et dans un monde sauvage, la mort « naturelle » apporte énormément de souffrance.

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A&N : Que pensez-vous de cette affirmation, « la chasse peut perdurer, dans la seule mesure où elle est utile, par exemple, à la régulation de certaines espèces » ?

JM : L’argument de l’utilité de régulation est un piège dans lequel les chasseurs tombent parfois par facilité. C’est un piège parce que la capacité des chasseurs à réguler efficacement n’est pas toujours vérifiée ; c’est un piège car de fabuleux modes de chasse ne prélèvent que modestement (comme les chasses traditionnelles) ; c’est aussi un piège car bien des gibiers n’ont pas réellement besoin d’être régulés. Les bécassiers, par exemple, seront d’accord avec moi. Si la chasse doit être utile, c’est au bonheur des communautés qui la vivent. C’est d’abord un mode de vie et une pratique éminemment culturelle. Et cette chasse doit se pratiquer avec des exigences, avec le respect des chiens, du gibier et de son environnement. Et si, de manière secondaire, la chasse peut avoir, ici où là, une utilité pour l’agriculture, ce n’est que mieux. Il est vrai que les populations de blaireaux et de renards posent parfois quelques réels soucis aux gestionnaires d’infrastructures et au monde agricole.

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La mort est dans l’ordre naturel des choses, mais dans le cas de cette prédation d’un rare et menacé hamster alsacien, elle peut induire un déséquilibre écologique nécessitant la régulation des renards.

A&N : Comment voyez-vous l’avenir de la vénerie sous terre, et de la chasse en général ? Certains chasseurs semblent si résignés.

JM : La chasse est la cible d’un mouvement animaliste caricatural. Nous sommes attaqués dans les médias, par certains politiques et devant les tribunaux. Le Conseil d’État va prochainement se prononcer sur un recours visant son interdiction. Il faut se battre pour que la vénerie sous terre reste un mode de chasse légal, contrôlé, encadré par des règles objectives. L’abolir, c’est laisser place aux empoisonnements, aux pratiques de destruction illégales.

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