Nos meilleurs amis

Nos meilleurs amis

Entre nous, nous avons eu le nez creux. Dans notre édito de décembre, nous avions relevé ces panneaux d’entrée et de sorties d’agglomération retournés, dénonciation bon enfant des contraintes ubuesques imposées aux ruraux. Force est de constater que ce n’était qu’un signe avant-coureur d’une contestation bien moins anodine. Depuis, lisier et ballots de paille ont entravé les entrées des préfectures et des locaux de l’OFB, et les Français ont redécouvert que la France était encore une nation qui s’était historiquement construite sur sa puissance agricole. Bonne nouvelle ou schizophrénie, à en croire les sondages 9 Français sur 10 seraient solidaires des agriculteurs. Cela peut paraître paradoxal, et en même temps réconfortant, quand on voit la manière dont ils sont d’ordinaire traités dans les médias. Affublés de tous les vices, ils seraient des pollueurs inconséquents, des tortionnaires d’animaux et, dans le meilleur des cas, on les ridiculise dans « L’amour est dans le pré ». Et que dire s’ils sont en plus chasseurs, pêcheurs, amateurs de corridas dans le Sud ou de combats de coqs en Flandre. Pour un peu, il faudrait les ficher S.

Mais, par la magie du lisier déversé et des routes bloquées, voilà que dans une belle unanimité tous nos responsables politiques s’affichent comme les meilleurs amis des agris, à commencer par ceux-là même qui de l’agri-bashing ont fait un fond de commerce. L’agriculture française est multiple, du viticulteur gardois au céréalier francilien, de l’éleveur de poulet de Bresse au producteur de lait normand, du betteravier picard au maraîcher bio du Finistère, elle est riche de ses productions, de ses méthodes et savoir-faire, et surtout des hommes et femmes qui, chaque jour, nous nourrissent et façonnent les paysages dans lesquels nous avons tant de bonheur à nous adonner à nos loisirs de nature. Mais, passé le salon de l’agriculture et plus probablement les élections européennes, nous verrons bien si cette grande fraternité n’est pas qu’une façade. Notre revendication collective d’un modèle agricole français qui repose sur une productivité maximale tout en limitant les effets délétères sur l’environnement, le tout au plus bas prix pour les consommateurs que nous sommes tous, et de surcroît variable d’ajustement du libre échange mondialisé est une chimère. Ce modèle est à plus ou moins long terme condamné au changement. Il faudra faire des choix. Il y aura des gagnants et des perdants. Mais, pour l’heure et afin de rester plus léger, goûtons aux jours qui rallongent, au printemps qui approche, à cette période qui fonde les espoirs des chasseurs, ramène les tireurs sur les pas de tirs et les randonneurs sur nos chemins de campagne, d’où nous n’oublierons pas de saluer le paysan en le croisant.