Cerf, bouc émissaire
Entre nous, le cerf a bon dos. Si vous avez suivi l’actualité de nos campagnes ces derniers jours, vous aurez noté que la Cour des comptes a publié un rapport sur la gestion de la forêt française fragilisée par le réchauffement climatique. Si beaucoup de sujets complexes y sont abordés, sous un angle évidemment économique- c’est bien le rôle de la Cour des comptes- l’information qui a été le plus relayée est la surpopulation supposée de cervidés qui compromettrait la régénération forestière. Il s’agit là du fameux équilibre sylvo-cynégétique, notion très à la mode depuis quelques décennies mais dont personne ne semble avoir, pour l’heure, trouver le point d’équilibre. Ceci sans doute parce que chaque forêt est différente et requiert des actions particulières. Si la Cour des comptes relève la difficulté qu’il y a à trouver des solutions adaptées à chaque région, on peut s’étonner qu’elle fasse montre de peu de prudence dans sa dénonciation de l’impact du cerf.
Sans beaucoup de précautions de langage, ce rapport peut sonner comme une injonction à massacrer les cerfs partout en France. Si les causes réelles de perte de rentabilité de la forêt sont le réchauffement climatiques et l’importation de maladies à la faveur des échanges internationaux toujours plus intenses, on ne voit pas bien comment occire les cerfs résoudra le problème. À moins qu’on nous explique que, comme les vaches, les cerfs flatulent et enrobent notre belle planète de gaz à effet de serre (sans mauvais jeu de mots) ou encore que ce sont eux qui négocient directement les traités de libre-échange et affrètent les cargos chinois ou panaméens qui traversent les mers et répandent miasmes et autres parasites. Il semblerait bien que le cerf soit un peu l’arbre commode qui cache la forêt peu reluisante de nos choix sociétaux.
Pourtant des gens payent pour chasser le cerf, et parfois très cher, ce sont les chasseurs. Mais la cour des comptes semble dénoncer leur manque collectif d’efficacité, voire leur responsabilité dans l’état actuel des populations. Il est vrai que l’instauration des plans de chasse promus en son temps par l’Association nationale des chasseurs de grand gibier a permis d’empêcher l’éradication de l’espèce, en supprimant le droit d’affût qui autorisait tout propriétaire ou agriculteur à faire justice sur ses terres. En échange de quoi les chasseurs ont accepté d’indemniser les dégâts agricoles. Plutôt que de les remercier de nous avoir permis à tous de croiser régulièrement, lors de nos balades, le chemin de grands animaux tout en payant la note, on leur reproche aujourd’hui de ne pas acquitter non plus la facture des dégâts sylvicoles, et de ne pas tuer assez. Et dans le même temps, qu’un vieux cerf soit tué en forêt de Mormal, ou qu’une biche de trop soit tirée en Bretagne et les médias s’emparent du sujet pour stigmatiser les chasseurs massacreurs. Pas facile de réguler les cerfs sans les tuer ! Ou alors puisque la cour des comptes préconise de confier, en partie, cette régulation aux agents de l’État (ONF, OFB, CNPF*), osons leur suggérer, plutôt que de les occire, de les anesthésier puis de les envoyer en Chine par Cargo.
* Office national des forêts, Office français de la biodiversité, Centre national de la propriété forestière.