L’indispensable épaulé

L’indispensable épaulé

Amener correctement sa crosse à la joue et à l’épaule constitue un préalable à tout tir réussi. De plus, sans un client rompu à cette maîtrise gestuelle, aucun armurier ne saurait lui adapter une crosse. Cela vaut tant pour un fusil qu’une carabine. Explication.

« Il faut épauler rapidement ; placer franchement la plaque de la crosse dans le creux de l’épaule, ni trop haut, ni trop bas. Conserver la tête droite. Il faut épauler, désépauler, remonter le fusil à l’épaule sans que l’œil cesse de regarder le point visé. Rien n’est plus utile, plus nécessaire que ces gammes. » Ces mots ont été prononcés par Justinien CLARY il y a plus d’un siècle, pourtant ils n’ont pas pris une ride. La littérature cynégétique conserve du comte CLARY l’image d’un homme à la barbe flamboyante et le souvenir de l’un des meilleurs tireurs de chasse de son temps. Il obtiendra même la médaille de bronze à la fosse lors des Jeux olympiques de Paris en 1900, avec un podium composé exclusivement de tireurs français. S’accoutumer à épauler n’est donc pas réservé à l’apprentissage du jeune chasseur. Chacun, tout au long de l’année devrait s’exercer à effectuer des gammes de mise en joue-épaulé. Les bienfaits de cet exercice valent pour l’arme lisse, comme pour l’arme rayée.

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Considéré comme le meilleur tireur de son temps, 120 ans après, les conseils de Justinien CLARY sont toujours d’actualité.

LES BIENFAITS DU MIROIR

Beaucoup de bons tireurs, tant sportifs que chasseurs, se réservent un coin tranquille où effectuer leurs gammes. Aucun exercice de terrain ne saurait remplacer cette simulation. Dans son prolongement, le dry firing comme le nomme les anglo-saxons, et que nous traduirons par tir à blanc, permet de surcroît de simuler le « lâcher ». C’est-à-dire l’instant, tellement décisif quand tout se joue, durant lequel l’index presse la détente. Les munitions réelles ayant bien évidemment été méticuleusement remplacées par des étuis à ressorts. Si la pièce dédiée n’a pas besoin d’être vaste, elle a grand intérêt à posséder un miroir d’une taille suffisante. L’image qu’il renvoie doit en effet permettre de visualiser facilement ses défauts techniques ; ou encore les conséquences néfastes d’une crosse inadaptée. Citons : une tête trop penchée à la recherche de la ligne de mire, le coude trop bas du côté de l’épaulé, un canon vrillé…

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L’épaulé est une chorégraphie qui peut se réviser en intérieur.

On ne saurait imaginer combien un simple exercice, de seulement quelques minutes, mais répété régulièrement améliorera le tir sur le terrain. Pour autant, nous devons garder à l’esprit que dans la réalité, cet épaulé-mise en joue ne constitue qu’une phase, même si elle est primordiale, de la cinématique globale du tir en mouvement. Cette chorégraphie, qui s’apparente à un lancer, commence par la bonne prise en main de l’arme, avant de se terminer avec ce qui s’appelle la fin de geste ; ou follow through pour les anglo-saxons. Préalablement, le tireur aura pris soin d’assurer son bon équilibre ; car on tire d’abord avec ses pieds. La pointe du pied avant en direction de l’endroit où l’on imagine lâcher son coup de fusil.

À LA MANŒUVRE…

La manœuvre de base consiste à épauler sur un point fixe, matérialisé par un visuel collé sur le miroir, à hauteur de l’œil directeur. Crosse désépaulée, le bout du canon est pointé juste sous la cible et dans l’axe de la pupille ; les deux yeux restent ouverts. Cet exercice simule la négociation de la trajectoire la plus simple du tir de chasse. Celle d’un gibier fuyant ou rentrant se déplaçant exactement dans l’axe du rayon visuel. Précisons qu’en tir de chasse – contrairement au tir à la cible –, les organes de visée : bande et guidon, restent flous tandis que les yeux accommodent sur la cible. S’en suit le mouvement simultané de la mise en joue et de l’épaulé.

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Le miroir est d’une grande aide pour repérer les défauts à l’épaulé, et les corriger.

Dès lors, la main arrière, guidée par un infime contact de la crosse avec le buste, amène le sommet du busc sous la pommette. C’est la mise en joue. Si la crosse est bien conformée, ce contact constitue un véritable guide automatique à la visée. Simultanément, le bras arrière se retrouve pratiquement à l’horizontale afin de former le creux de l’épaule où la plaque de couche doit exactement trouver sa place. C’est l’épaulé proprement dit. Main droite et main gauche ont agi ensemble pour placer le grain d’orge sur la mouche. À cet instant, le tireur a la silhouette voûtée ; et le poids de son corps repose majoritairement sur la jambe avant.

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Viser une arrête du plafond constitue un bon entraînement pour appréhender les futures trajectoires du gibier, comme ce faisan de haut vol.

Si cet exercice liminaire a une très bonne vertu d’apprentissage, on l’imagine, à la chasse, la direction du vol présenté plus haut est rare. Voilà pourquoi, il est nécessaire de compléter l’entraînement en imaginant une multitude d’autres incidences. Au mouvement de base, on ajoutera la rotation du buste afin de permettre au bout du canon d’épouser le vol ou la course, en trois dimensions, d’un gibier. Une plinthe le long d’un mur se révélera d’un secours insoupçonné pour apprendre à tirer le sanglier à la carabine. Comme peut aussi l’être, l’arête du plafond pour travailler son swing dans la perspective des colverts à l’ouverture, ou plus tard des faisans de haut vol.

Aussi, comment ne pas être d’accord avec notre grand écrivain cynégétique Paul VIALAR : « Épauler ! Voilà qui est important et doit être naturel. Voilà qui doit se faire comme on accomplit un mouvement habituel. »