Cochons de payeurs !

Entre nous, le bon sens ne l’emporte pas toujours. Je vous parle de cette décision du Conseil Constitutionnel qui a jugé qu’il appartenait bien aux seuls chasseurs d’acquitter la facture des dégâts de grand gibier. Nous en parlions il y a trois mois, mais confrontée à l’explosion des dégâts et les risques de faillite pour certaines fédérations, la Fédération Nationale des Chasseurs avait posé la question de la légitimité d’une loi obsolète et inéquitable.
Obsolète car, datant de 1968, on peut supposer que les raisons qui ont présidé à son adoption sont aujourd’hui périmées. Pour rappel, cette mesure qui prévoyait de faire payer uniquement aux chasseurs le coût des dégâts du grand gibier, avait été voulue à l’époque par les chasseurs eux-mêmes. Accompagnée de la mise en place du plan de chasse, et de la suppression du droit d’affût pour les agriculteurs, elle devait permettre l’installation de populations de grands animaux viables. Contre toute attente, la réalité a dépassé les espoirs fondés à l’origine par les chasseurs, et de 30 000 sangliers tirés annuellement, nous en sommes aujourd’hui à plus de 800.000.
PERSONNE EN 1968 NE POUVAIT IMAGINER UN TEL SCÉNARIO
Ne nous voilons pas la face, la gestion de la pénurie d’alors a évidemment sa part de responsabilité dans l’abondance d’aujourd’hui. Cela dit, personne en 1968 ne pouvait imaginer un tel scénario, et cette louable volonté de permettre un retour des grands animaux n’était en ces temps pas contestée. Aujourd’hui, le contexte est très différent.
Là où cette mesure en plus d’être obsolète est inéquitable, c’est que la gestion protectionniste des chasseurs est loin d’être la seule raison à cette explosion. Tous les leviers sont au vert pour la faire prospérité la population de grands animaux : réchauffement climatique et fructifications plus abondantes, déprise agricole de certaines régions, augmentation des surfaces boisées, bouleversements paysagers et culturaux des plaines agricoles, zones où la chasse est bannie, sont autant de facteurs propices.
Les chasseurs, moins nombreux aujourd’hui, sont donc loin d’être les seuls responsables de cette situation, mais ils sont les seuls à en assumer le coût. Ils sont surtout les seuls à pouvoir y apporter une partie de la solution, en maintenant, par la chasse, la pression sur les sangliers. Quitte à enfoncer un clou déjà bien martelé, il est quand même paradoxal de ne faire payer que ceux qui règlent le problème.
Biberonnée au lait de l’écologie de salon et de l’antispécisme, la société française ne perçoit pas vraiment le rôle indispensable des chasseurs, bénéficiant de leur action (pour une fois le contribuable est épargné), tout en les conspuant. Le beurre et l’argent du beurre en quelque sorte.
Mais, comme nous ne sommes pas des crémières, nous pourrions nous lasser définitivement de nous faire traire pour nourrir un système à bout de souffle. Cochons de payeurs que nous sommes ! Les agriculteurs, très instruits de ces choses naturelles, ont bien compris que traire des cochons n’était pas très rentable, et appuient l’idée d’une réforme. Nous verrons bien si nos élus, eux, ont conservé un peu de bon sens paysan. Mais il est certain qu’à l’approche d’élections, ils vont beaucoup promettre. Cochon qui s’en dédit !