Sangliers iraniens : Attila en terre perse

Sangliers iraniens : Attila en terre perse

Pour les aficionados de la bête noire, la quête du Saint-Graal n’a sans doute rien à envier à celle de Sus scrofa attila, cette sous-espèce monumentale de notre sanglier… C’est au nord de l’Iran que nous sommes partis traquer le plus puissant de nos suidés.

« Le jour se lève, la nuit pâlit, les chasseurs et les chiens ont faim… », chantait notre regretté taulier*C’est un peu le sentiment qui flotte dans l’air en ce matin d’hiver. En effet, les deux premiers jours de cette villégiature iranienne ne se sont pas déroulés sous les meilleurs auspices, des conditions météorologiques on ne peut plus humides, étant venues compliquer à la fois la traque et les conditions de tirs.

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UN VOYAGE ENTRE AMIS

Spécialistes de la chasse des suidés en battue, sept chasseurs français aux origines géographiques bien diverses, mais tous forts d’une longue expérience cynégétique à l’étranger, ont fait le déplacement depuis l’Hexagone. Une première pour ce groupe d’amis.

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OBJECTIF ATTILA

Leur objectif : récolter en terre Perse quelques somptueux trophées de cet emblématique Sus scrofa attila. Sous-espèce de notre sanglier, doté de 38 chromosomes au lieu de 36, l’attila se veut plus corpulent et plus armé que son cousin d’Europe occidentale. Un gibier qui fait la réputation de certaines régions du Moyen-Orient, dont notamment la Turquie, le Tadjikistan et l’Iran. Si deux fantastiques keilers – dont l’un portant plus de 25 cm de défenses et accusant près de 250 kg – ont déjà été prélevés au cours des trois premières sorties, force est d’admettre que le résultat n’est pour l’heure pas la hauteur des espérances du groupe.

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L'ESPOIR RENAÎT

Les choses devraient changer, nous ont toutefois informés hier soir notre interprète et le chef de battue. Les prévisions météo sont en effet au beau fixe, et le territoire que nous devons aborder est, paraît-il, riche en gibiers, selon les informations obtenues la veille par l’intermédiaire d’observateurs locaux. Et, c’est en effet sous un ciel dégagé, illuminé d’une myriade d’étoiles, que nous embarquons, bien avant l’aube, à bord de notre minibus. Un peu plus de 2 heures de route sont nécessaires pour nous conduire dans la région de Neka, qui borde ce lac fermé salé qu’est la mer Caspienne. Notre véhicule quitte maintenant l’asphalte au profit d’une piste empierrée qui nous mène visiblement au fond de la vallée.

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À peine avons-nous débarqué qu’un somptueux panorama s’offre à nos yeux ; un biotope, en tous points de vue différent des majestueuses futaies, composées de chênes et de hêtres séculaires, au cœur desquelles nous évoluions jusqu’à présent. Une large plaine, au milieu de laquelle serpente une rivière bordée de rizières, s’enfuit à perte de vue entre deux pans de montagne.

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Côté ouest, les flancs rocailleux sont quasiment dénudés de toute végétation, tandis qu’à l’est une forêt dense de bas étage, composée de chênes verts et d’arbustes cousins des néfliers, recouvre les pentes abruptes. La proximité entre lieux de gagnage et zones de refuge présente toutes les caractéristiques optimales à la présence du gibier convoité. Aussi, l’espoir ne tarde-t-il pas à renaître au sein du groupe.

DES INDICES BIEN PRÉSENTS

Des pensées aussitôt confirmées, tant nous découvrons d’indices, alors qu’en file indienne nous traversons les champs. Conséquence des pluies récentes, une boue glaiseuse colle à nos semelles, alourdissant chacun de nos pas. Arrivés en bordure du bois, notre chef de battue, qui répond au nom de Mashalla, nous fait comprendre via notre interprète qu’il souhaite étaler une ligne partant du ras des cultures pour rejoindre le sommet.

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VISIBILITÉ RÉDUITE

Nous décidons pour l’occasion d’accompagner Jean-Philippe, chasseur alsacien qui, après tirage au sort, s’est vu attribuer le premier poste. Nous nous engageons sous l’épais couvert, suivant dans le plus absolu silence le maître de céans. Ce dernier nous arrête quelques mètres plus loin pour nous désigner notre poste, à portée de vue de la lisière. Devant nous une pente raide où, dans un indescriptible méli-mélo végétal, s’alternent arbustes aux épines acérées et ronciers tout aussi agressifs. Dans notre dos, un scénario identique en tous points. Même si nous distinguons de discrètes coulées sous les broussailles, la visibilité n’excède pas quelques mètres.

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Autant dire que les conditions de tir ne seront pas optimales si, par chance, un attila venait à surgir. L’attente débute. Elle sera longue, nous sommes prévenus, car les traqueurs, se coordonnant à l’aide de talkies, ont décidé d’attaquer loin pour repousser le gibier vers la ligne de tir. Il faudra ainsi près d’une heure avant que nous ne percevions, dans le lointain, les premiers récris et les clameurs des rabatteurs. De temps à autre, un coup de fusil claque vers le ciel, histoire de rajouter une sonore tonalité au tintamarre supposé déloger les animaux remisés.

 

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UNE BÉCASSE MESSAGÈRE

Soudain, au-dessus de nous un volatile à la silhouette caractéristique prend son essor, suit la pente, et nous charge passant à quelques centimètres de nos visages. Nous ne sommes pas encore remis du passage inattendu et véloce de cette bécasse, qu’une succession de craquements met nos sens en alerte. Face à nous, la végétation bruisse, s’agite en tous sens. Aussitôt, la carabine monte à l’épaule, suit le cheminement supposé de la bête. Des bêtes ? Une infime trouée dans le dédale végétal révèle une imposante masse sombre dévalant le coteau à une vitesse vertigineuse.

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LA CHARGE STOPPÉE

La 9.3×62 claque. L’espace d’une fraction de seconde le suidé semble s’affaisser. Que nenni ! Le voici qui reprend sa course avec pour cibles ni plus, ni moins que nos silhouettes. 10 mètres, 7 mètres…puis la seconde détonation retentit enfin à notre plus grand soulagement. Chasseur expérimenté de grand gibier, Jean-Philippe n’a pas tremblé. Du moins, pas encore… car si la rapidité de l’action n’a guère laissé de temps aux émotions, la tension est désormais plus que palpable. Précaution oblige, nous attendons quelques minutes avant d’approcher. Moment d’effusions et de félicitations dès lors que nous découvrons la dépouille de cet énorme sanglier. Une rapide estimation laisse à penser que l’animal dépasse à coup sûr le double quintal. Il ne sera pas aisé de le tracter sur ce relief. Quant aux défenses, elles émergent de près de 10 cm, signe prometteur d’un trophée exceptionnel. Constat fait, les deux balles sont parfaitement placées, toutes deux mortelles, mais une seule n’aura pas suffi à sécher net l’animal, tant celui-ci est imposant.

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BIS REPETITA

Remis de nos frayeurs, nous regagnons notre poste, car la traque n’est pas finie pour autant, tant s’en faut. La ligne marchante est encore loin et s’égosille : « Whoo sag bài ! » (Hou chien, attrape-le !).  Alors, qui sait si la chance ne nous sourira pas à nouveau ? Il n’y a que la foi qui sauve… Et, comme par enchantement, une seconde opportunité ne tarde pas à se présenter. Hormis, le vol fugace de Dame bécasse, le scénario se répète à l’identique. À deux mètres près la même coulée, la même trouée. Cette fois-ci, la SAUER ne souffle qu’à une seule et unique reprise. Le puissant suidé est stoppé net dans son élan. Un brin moins corpulent que le premier, certes, mais présentant des défenses et des grès tout aussi honorables. À cet instant, on ne parle plus d’effusions mais de liesse.

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LA TRAQUE REPREND

Une seconde traque permettra à d’autres chasseurs de s’illustrer, avant que tous les participants ne se regroupent autour d’un feu improvisé, histoire de se sustenter.

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Les débats reprendront l’après-midi. Ce jour-là, ce ne seront pas moins de 5 grands mâles, tous fortement armés, qui viendront récompenser la patience et la ténacité de nos chasseurs. Le dernier jour nous donnera l’occasion de découvrir un milieu encore bien différent de ceux fréquentés jusqu’alors. C’est dans un sous-bois, étrangement pâturé par des bovins et des ovins, accompagnés de leurs gardiens, que nous traquerons les bêtes noires.

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DE TRÈS GRANDS TROPHÉES

La chance nous sourira pour cette ultime sortie, puisque nombre d’entre-elles seront aperçues. Quatre spécimens, dont le record du séjour en termes de trophée – paradoxalement, l’un des plus faibles en poids – viendront finaliser le tableau. Au bilan, une quinzaine de mâles, pour la plupart joliment armés auront été prélevés au cours de ce séjour. Un résultat probablement un peu en dessous des espérances de nos chasseurs. S’il fallait trouver une explication, sans doute avancerions nous les conditions météorologiques, et ce à double titre. Le début de notre séjour fut indubitablement perturbé par les pluies diluviennes qui, durant deux jours, s’abattirent sur la région. Difficile dans un tel contexte pour les auxiliaires canins de remonter les émanations, et pour les tireurs de centrer leur cible dans l’optique.

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UN FROID TARDIF

Autre phénomène climatique, l’hiver qui tarde à venir. D’ordinaire, les premières neiges font leur apparition début novembre, couchant aussitôt la végétation, mais cette année elles se font attendre. Traqueurs et chiens ont ainsi évolué autour d’immenses ronciers, non encore rabattus par le gel ou le manteau neigeux, et du coup impénétrables, desquels il s’avère logiquement complexe de déloger le gibier.

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VALEUR SÛRE DU SANGLIER

L’Iran reste néanmoins, de façon indiscutable, une valeur sûre pour qui souhaite récolter de très beaux trophées médaillables. Preuves en sont ces dix sangliers prélevés portant plus de 20 cm, dont un arborant pas moins de 27.3 cm (le record de la zone s’élève à 32 cm).

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Ces redoutables bêtes noires en imposent par leur puissance, et procurent d’incommensurables émotions dès lors qu’elles pointent le bout du boutoir, sachez-le. Sans oublier ces forêts somptueuses, sauvages, aux arbres séculaires, et ces montagnes tout aussi majestueuses, dont les cimes se perdent dans les cieux. Chasser en Iran, c’est aussi découvrir une culture riche d’un passé millénaire, parfois aux antipodes de la nôtre.

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En un mot, c’est chercher et trouver le dépaysement. Un dépaysement auquel nul ne peut être insensible ou indifférent.

* Johnny HALLYDAY : Requiem pour un fou