Portugal : premiers cerfs pour Philippe

Portugal : premiers cerfs pour Philippe
Crédit photo : Gilles DE VALICOURT

Nous devions chasser l’élan en Finlande, mais un imprévu fait capoter le projet. Philippe accuse le coup, sa déception est grande. Trois coups de téléphone, je lui propose de faire tourner l’aiguille du compas vers le Sud-Ouest et le Portugal, pour un mixte monteria aux sangliers/approche du cerf en territoire ouvert.

SUR LA ROUTE

Le budget est serré. L’amitié prend le relais des banquiers et des voyagistes. Le 10 novembre, nous quittons Rognac, direction Palmela, au nord de Setubal. Évitant les autoroutes mange-fric, nous passons les Pyrénées à Puigcerdá, direction le Portugal, 1750 kilomètres avalés en vingt heures, rythmées par le rock n’roll, la chasse, le grand gibier, les munitions, les armes. Les casse-croutes de boudin noir, jambon cru, saucisson, fromage et fruits surclassent tous les snacks d’aéroports. Pas de contrôle de sécurité, pas de bagages perdus ou volés. La chasse s’installe en nous, pas de tension, plus de pression, nous gérons notre petite aventure.

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Sur la route du Portugal, un voyage ibère lumineux.
Crédit photo : Gilles DE VALICOURT.

UN PREMIER CERF

Au petit matin, rejoint par Pedro et « le Colonel », nous déjeunons sur le port de Setubal. Nous chasserons sur deux secteurs, une monteria aux sangliers sur un territoire ouvert, puis une journée d’approche au cerf sur un immense territoire agricole de chênes lièges, oliviers et bétail. Enfin nous monterons vers Ladoeiro, 300 km au nord, dans le parc naturel international du Tage qui s’étend des deux côtés du fleuve-frontière, entre l’Espagne et le Portugal. La monteria ne nous a pas été favorable, mais le lendemain Philippe tire un dix cors perpétuel après une journée de chasse sous les orages, et une longue approche à quatre pattes.

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Philippe, entouré du « Colonel » et de Pedro. Son premier cerf, pas le record du monde, mais bien chassé et mérité.

LE PARC NATUREL DU TAGE

Après une nuit de repos nous quittons Pedro pour Ladoeiro où Manuel et Edgar nous attendent. Manuel est un vétérinaire réputé, spécialiste des cervidés. Avec Edgar, ancien officier des forces spéciales, ils gèrent la population de cerfs et de daims sur différents territoires. Edgar gère aussi un secteur au Mozambique. Le parc international du Tage a été crée en raison de l’importance et de la qualité de la faune et de la flore de ce secteur, délimitée par les vallées encaissées du Tage, de la Ponsul et de l’Erges. Les rivières accueillent d’importantes colonies d’oiseaux. Cerfs, sangliers, daims, franchissent le Tage, entre l’Espagne et le Portugal au grès des températures, de la sécheresse, de la pression humaine. Les aigles y planent en compagnie des vautours fauves, d’Egypte et percnoptères. Chasseurs et écolos ont passés des accords afin de protéger les grands rapaces qui considèrent les coups de carabine comme la cloche qui sonne le repas.

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La région du parc naturel international du Tage compte de nombreuses espèces d’oiseaux. En hiver, la cigogne s’y trouve à son aise.

UNE INCROYABLE DIVERSITÉ BOTANIQUE

Les chênes lièges se mêlent aux eucalyptus, aux oliviers, aux pins et autres résineux. On trouve près des bergeries, habitées ou abandonnées, des orangers et citronniers. Chênes verts, hélianthèmes, bruyères, mauves, sauge, ajoncs, genets, cades, genévriers, romarin et pavots complètent le paysage. L’été y est chaud, l’hiver peut être froid en début de matinée, mais supportable dans la journée. Cours d’eau et variations de températures génèrent des brouillards souvent denses. Il neige parfois. L’homme tient sa place au cœur du parc naturel du Tage, l’activité cynégétique aussi.

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Paysage typique où nous allons chasser, près de la frontière espagnole.

VEILLÉE D’ARMES

Le soir nous soupons, parlant chasse, stratégie d’approche, tirs, calibres et balles tout en regardant le press-book de Manuel. Ce dernier a tiré un millier de cerfs. Philippe, anxieux, vérifie plusieurs fois son équipement et la Weatherby avant de se coucher. Nous démarrons avant le lever du jour pour observer un secteur où les animaux sont susceptibles de se regrouper. En silence nous gagnons un promontoire d’où, protégé par quelques chênes, nous observons la vallée qui s’étend vers l’Est, le Tage, l’Espagne. Le jour pointe, les premières lueurs roses et orangées apportent suffisamment de lumière pour surveiller l’étang, le ruisseau qui y aboutit, et les pâtures dégagées en périphérie.

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En dépit du climat, le Portugal automnal peut être très verdoyant.
Crédit photo : Gilles DE VALICOURT.

À L’APPROCHE !

Alors que le jour s’installe, apparaissent les premiers cervidés, biches, jeunes et daguets. Le rut est fini, mais un daguet poursuit sans espoir une des femelles. Immobiles, nous attendons. Les cerfs sont aux aguets. Manuel a sorti sa pipette. D’un geste machinal il envoie un petit nuage de talc. Ce geste, Manuel et Edgar le reproduiront plusieurs dizaines de fois dans la journée. Avec raison. Une petite brise, que nous ne sentions pas, a porté notre odeur aux animaux, qui s’éloignent dans les chênes verts. Nous bougeons vers un point haut, jumelant un secteur où alternent bosquets et pâtures, dans un déplacement lent, jouant avec le vent qui oblige à mains détours. Courbés pour ne pas se détacher sur l’horizon, nous gagnons un bosquet de chênes lièges. En contrebas, loin, trois, non, quatre cerfs arrachent des touffes de graminées au pré jauni. Un nuage de talc, nous sommes à bon vent. Les Geovid d’Edgar annoncent 650m. Manuel pense qu’on peut gagner 200 à 250m, après ce sera un tir à longue distance. La Weatherby peut le faire, mais Philippe n’est pas chaud. Il est encore tôt, pourquoi prendre le risque de blesser. Mais il y a un joli 16 et Manuel aimerait que Philippe le tire.

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Un daguet en alerte qui risque de faire fuir les grands coiffés.
Crédit photo : Gilles DE VALICOURT.

LES COIFFÉS S’ENFUIENT HORS DE PORTÉE

Je reste avec Edgar à observer. Utilisant les buissons, les rares chênes pour camouflage, avançant à la vitesse de la mélasse froide, Manuel souffle le talc, change d’axe en fonction de la brise folle. Il essaye d’atteindre un bloc de granit qui constitue un bon point de tir. Tout se déroule à merveille, lorsque, sortant d’on ne sait où, trois biches détalent au plein galop. Les coiffés lèvent la tête. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, rapides mais sans s’affoler, ils gagnent le couvert pour ressortir au trot, grimpant le mamelon pelé, hors de portée.

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Un beau coiffé court vers un point haut avant de disparaître.

ADIEU LA HARDE !

Les genets, ajoncs, buissons de chênes sont autant de refuges pour la faune nombreuse. À l’approche, l’abondance nuit. Depuis le lever du jour nous avons vu plus d’une trentaine d’animaux ! Toute la matinée nous jouons à cache-cache. Hardes de biches et jeunes mâles en post-rut nous interdisent de conclure une approche. La végétation, haute, dense, est une alliée pour les animaux. Souvent, seuls les bois des « coiffés » sont visibles. Le tir est impossible, l’approche gâchée par une vieille biche qui détale, emportant la harde.

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Un petit train de biches faons et jeunes cerfs s’éclipse en mettant en alerte tous les animaux du secteur.
Crédit photo : Gilles DE VALICOURT.

UN TAPIS BRUYANT

Nous arrêtons vers 13 heures pour un casse-croûte mérité. Manuel allume un cigare, ça commençait à lui manquer. Les compères décident de changer de secteur pour l’après midi. Nous chasserons sur un terrain vallonné, difficile, bois d’eucalyptus et de résineux au sol bruyant, couvert d’écorces sèches. Appréciant Philippe, ils veulent lui faire tirer un daim. La difficulté sera de gérer le vent tourbillonnant et la progression sur les écorces qui forment un tapis incontournable.

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Le sol est si sec que même ce discret lézard fait un boucan d’enfer.
Crédit photo : Gilles DE VALICOURT.

DES LIÈVRES ET DES PERDREAUX

Quinze heures, Manuel remplit sa pipette de talc. Utilisant le terrain et le vent, nous progressons dans le fond d’un talweg où coule un maigre ruisseau. Une compagnie de perdreaux décolle, des lièvres fusent sur les côtés. Quittant la vallée nous grimpons dans les ajoncs puis les chênes. Dès que la végétation se dégage, nos jumelles scrutent l’espace entre troncs et buissons, guettant la moindre pointe blanchie, le moindre mouvement, la petite tache de couleur brune ou fauve qui révèlerait un daim ou un cerf.

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Un rayon de soleil trahit la présence de ce faon.
Crédit photo : Gilles DE VALICOURT.

DES DAIMS

Prudemment, nous approchons de la crête et des eucalyptus. Un bruit de branches cassées, une course effrénée nous font sursauter, un cerf, couché à l’ombre, invisible à nos yeux vient de détaler. Manuel hausse les épaules, Edgar murmure, « ce n’est pas grave, on trouvera des animaux de l’autre côté, après les arbres ». Ils affectionnent le fond humide, les prés qui le jouxtent et les genets qui les cachent. Progressant lentement sur le tapis « croustillant », nous repérons des daims. Le temps de déplier le bipied c’est la fuite bondissante. Ils plongent vers le vallon que nous avons quitté à l’opposé de la zone où se tiennent les cerfs. Pour nous rassurer Manuel rallume son cigare. Les nuages de talc parsèment la progression. Soudain il se fige. Les cerfs sont là, à 800 m à vol d’oiseau.

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Un daim s’extrait d’un bois d’eucalyptus.
Crédit photo : Gilles DE VALICOURT.

À BON VENT

Ils paissent le long des genets. Il va falloir ruser, faire un détour pendant lequel ils ne seront plus visibles. Rapidement nous descendons dans le fond, remontons par un ruisseau dont le bruit masquera le notre. Manuel a éteint son cigare. Il se sert de sa pipette, tourne avec le vent. Sans repère, il nous guide dans un mouvement semi circulaire. Philippe est tendu comme un ressort. Manuel monte un petit raidillon, se baisse, nous l’imitons. À quatre pattes, nous atteignons le plat. Quelques buissons nous cachent à la vue des cerfs. Le vent est pour nous.

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Le vent bien orienté, les cerfs ne perçoivent pas la progression des chasseurs.

UN JOLI 14 !

L’observation dure un bon quart d’heure, à plus de 200m, la tête baissée, les « quatre coiffés » mangent. La lumière baisse, la nuit ne tardera pas. Soudain le plus massif relève son encolure, apparemment un joli 14. Manuel déploie son trépied, Philippe cale la Weatherby. Edgar annonce: « 215, quand tu veux, fais vite, ils bougent ». Une inspiration, un souffle, pas le temps de se boucher les oreilles. La 300 tonne, la 165 gr Sierra vole vers le cerf. Il accuse l’impact, démarre, à bras franc Philippe lâche un second coup. Avec prudence, nous approchons. C’est terminé. Les deux balles ont touché la zone du cœur. La seconde était inutile. Les yeux de Manuel brillent de joie, Edgar serre la main du tireur. Je félicite Philippe. Pas d’effusion à l’américaine comme on en voit trop, simplement la joie des chasseurs, le respect pour l’animal. Il est beau, ce cerf. Mon ami l’a bien mérité. On compte les pointes, 13 cors, un 14 irrégulier. Pas mal pour un second cerf. Le ciel s’est couvert pendant l’approche et laisse tomber les premières gouttes. Edgar part chercher le véhicule, une bonne heure de marche en tirant droit.

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Manuel, Philippe et le joli 13 tiré par ce dernier.

NOUS REVIENDRONS

Avec Manuel, nous commençons le travail. En vétérinaire, il vérifie toutes les glandes et ganglions de l’animal à la lueur de nos lampes. Nous ne chassons pas uniquement pour coller des têtes sur un mur. Nous veillons toujours à sortir la viande du bois. La pluie tombe plus fort lorsqu’Edgar arrive. Les vautours et autres sangliers ne resteront pas sur leur faim, les viscères leur feront un festin. L’hôtel possède une chambre froide. Nous y mettons viande et trophée au frais. En route pour le QG. Un bon repas nous attend. Le lendemain, tirant comme une savate avec la Marlin Guide, je rate un beau cerf à plus de 270 m. Ce n’est pas grave, il m’attendra. Philippe reviendra avec moi, il n’a pas eu son daim.

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Nos chasseurs reviendront au Portugal, pour que daims et cerfs sachent de quel bois ils se chauffent.
Crédit photo : Gilles DE VALICOURT.