Piégeurs, ces oubliés de la lutte

Piégeurs, ces oubliés de la lutte

Il y a quelques années encore, le piégeage était une pierre angulaire de la gestion des espèces et des espaces, et donc en ce sens, un véritable outil écologique. Pourtant, en moins d’une génération, sa pratique s’est effondrée sous les coups de boutoir d’idéologies animalistes. Explications…

Biodiversité : le moins que l’on puisse dire, c’est que ce mot est sur toutes les lèvres. Notion évidemment pourvue d’une signification, elle est cependant souvent, trop souvent associée à l’idée de catastrophe : « effondrement de la biodiversité », « perte inéluctable ou imminente de biodiversité »… Le refrain est connu et loin de nous l’intention de nier qu’à maints égards une telle « perte » soit avérée. Qu’il faille s’en soucier et agir est une évidence. Néanmoins, à mesure que cette « cause » se politise, s’idéologise et s’institutionnalise – pour le meilleur comme pour le pire –, nous assistons à une étrange confiscation de ses prérogatives, une confiscation qui tend à retirer toute forme de légitimité à certains acteurs de terrain dont le tort, peut-être, est d’appliquer des méthodes aussi vieilles que le monde.

Ces acteurs, à nos yeux, sont les oubliés de la lutte pour la biodiversité : leur visibilité est inversement proportionnelle à l’efficacité du travail concret qu’ils réalisent au jour le jour, tout au long de l’année, avec une discrétion et une abnégation qui les honorent. Parmi eux figurent, en première place : les piégeurs.

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La contestation de piégeage n’est pas nouvelle, il y trois décennies les anciens et efficaces pièges à mâchoires ont été condamnés, et mis au clou car, en dépit d’amélioration techniques, jugés traumatisants pour les animaux.

INDIGNATION

Affirmer que le piégeage est attaqué sous nos latitudes relève de l’euphémisme. La liste des associations spécialisées dans l’exercice de ce non-sens écologique étant assez fournie, nous nous contenterons d’examiner la méthode à laquelle elles recourent pour – c’est leur fin ultime – faire interdire ce qui leur apparaît, en tout temps et en tout lieu, comme une monstruosité. D’abord, elles imposent au grand public l’idée que le piégeage est, de manière essentielle, moralement condamnable ; à ce titre, tous les moyens sont bons – à commencer par l’utilisation massive des réseaux sociaux.

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La stratégie des anti-piégeage joue sur le grégarisme des réseaux sociaux, en y piégeant l’opinion, comme le feraient les piégeurs avec ces corneilles.
Crédit photo : Gilles DE VALICOURT

Personne n’ignore la recette, qui fonctionne pour à peu près toutes les « causes » : photos et films choisis, agrémentés de quelques mots – et voilà que le cœur de l’auditoire est touché de plein fouet. Qui peut se réjouir de voir tel animal piégé, attendant, souvent terrorisé, d’être tué l’instant d’après ? Il suffit alors de disposer de personnes techniquement compétentes pour que l’effet boule de neige joue son rôle, un effet littéralement exponentiel à l’heure d’Internet. Le premier moment de la stratégie d’éviction des piégeurs de la sphère de la légitimité écologique est donc non seulement de faire naître mais d’entretenir la flamme de l’indignation, en usant à l’envi du mensonge et, surtout, de la désinformation – ce qui nous conduit au second point.

SCIENTIFISATION

Quel est-il ? Il consiste à apposer, sur l’objet de ladite indignation, un vernis de discours scientifique. C’est précisément ce que l’on constate eu égard au renard, par exemple. Sans entrer dans les détails, on peut à bon droit avancer que plusieurs associations de « protection » œuvrent actuellement à « faire changer le regard » que nous porterions, nous, humains, sur cette espèce : parce qu’elle est chassée et abondamment piégée, elle serait persécutée – c’est leur mot – et victime d’une injustice scandaleuse. Or, cette injustice se révélerait d’autant plus flagrante que « des » études montreraient que le renard, loin d’être nuisible, serait à l’inverse (prière de ne pas rire !) un « allié des agriculteurs », un agent essentiel dans la lutte contre certaines zoonoses, un animal capable de maîtriser sa propre reproduction en fonction des proies disponibles, etc., etc. Bref, chasseurs et piégeurs se tromperaient du tout au tout, et tromperaient ainsi tout le monde du même coup pour avoir le plaisir de pratiquer en paix leur « loisir sadique ».

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À en croire ceux qui dénigrent le piégeage, le renard serait un allié de l’élevage et de l’agriculture, et même de la médecine. Les victimes de l’échinoccose alvéolaire ne sont sans doute pas du même avis.

Que ces « études », confidentielles et idéologiquement très marquées, puissent être sujettes à caution, cela n’importe pas : l’essentiel, répétons-le, est de faire croire que la Science, avec une majuscule, met aujourd’hui à terre tout ce que nous pensions savoir depuis la nuit des temps sur le renard. Le véritable enjeu de ce second moment fondé sur la désinformation est donc extrêmement grave, à la fois intellectuellement et écologiquement : il s’agit ni plus ni moins de soumettre la recherche à un a priori moral – ce qui est l’exact contraire de toute démarche scientifique authentique. Il va de soi que ce travail de pseudo justification de l’indignation première constitue un ressort de communication puissant pour rallier l’opinion. Tout l’art du militantisme animaliste est de parvenir à transformer, dans l’esprit de nos contemporains, un pur élan du cœur en un discours prétendument admis, étayé par le savoir universitaire ; d’où l’explosion, ces dernières années, du nombre des « naturalistes » autoproclamés. Inutile de mentionner ici leurs noms.

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Condamner le piégeage, c’est se priver du seul moyen de limiter l’expansion de certaines espèces envahissantes comme ce raton laveur, impossible à réguler par la chasse.

JUDICIARISATION

Troisième point, et non des moindres : attaquer devant les tribunaux, partout où cela est possible, pour obtenir le déclassement d’Espèces susceptibles d’occasionner des dégâts (ESOD). L’idée, pour être très substantiel, est de judiciariser au maximum la gestion des ESOD et de multiplier les recours sur l’ensemble du territoire en faisant valoir que les déprédations provoquées par les fouines, pies, geais, putois et autres renards ne sont pas suffisamment démontrées, et que leur surpopulation, également, relève du fantasme. Quel que soit l’état des lieux local réel de chacune de ces espèces – souvent difficile voire impossible à établir avec exactitude : on ne compte pas les belettes comme on compte les éléphants ! – il est intéressant de remarquer que cette judiciarisation systématique (qui requiert, soit dit en passant, d’importants moyens financiers) n’est rien d’autre que l’expression d’un combat idéologique transposé dans la sphère du droit.

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La difficulté à compter certaines espèces, comme la belette condamne leur piégeage. Pas de chiffres, plus de classement ESOD, et aucune chance de reclassement.

De quel combat est-il question ? C’est très simple : déclasser telle espèce (comme il en fut du blaireau), c’est franchir une première étape fondamentale vers sa protection totale, laquelle protection prend place dans une vision beaucoup plus large de ce qui devrait être, selon ces militants, au principe de toute l’écologie moderne : le « réensauvagement » de la nature (en un mot : laisser celle-ci se débrouiller seule). Tout cela – les piégeurs le savent – se produit progressivement, à pas feutrés, et sans que les médias, de façon générale, ne daignent montrer ce que cela peut recéler d’inquiétant pour l’avenir de la biodiversité elle-même. Disons-le tout net : en acceptant comme une vérité intouchable l’idée selon laquelle « la nature est un équilibre », on emprunte une voie particulièrement dangereuse d’un point de vue écologique. L’action humaine est jugée en l’occurrence intrinsèquement nocive, malsaine ; on attend quelque chose comme un miracle ; si mise à mort il doit y avoir, nous ne pouvons, nous, êtres de pensée, l’assumer.

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Comme un symbole, ces « boîtes à belettes » prennent la poussière et les toiles d’araignées, l’espèce n’étant quasiment plus piégeable dans aucun département en raison de l’acharnement judiciaire d’associations « protectionnistes ».

DES ACTEURS INDISPENSABLES DE L’ÉCOLOGIE

En tout état de cause, le triptyque indignation-scientifisation-judiciarisation forme, selon nous, le cœur de la méthode mise en œuvre par les antis pour entraver la mission qu’accomplissent les piégeurs dans notre pays. Qu’adviendrait-il de certaines espèces, notamment protégées (et, parmi elles, les « petits oiseaux »), si ces travailleurs de l’ombre en venaient à remiser leurs pièges ? Car nous devons aussi souligner – cela est rarement fait ! – qu’il est à craindre que beaucoup d’entre eux ne finissent par jeter l’éponge – face à la complexité des lois qui règlementent leurs pratiques. Rappelons à toutes fins utiles que, contrairement à la chasse, l’essence du piégeage, c’est la régulation. Les piégeurs – dont nous pouvons regretter qu’ils ne soient pas davantage reconnus comme des acteurs indispensables de l’écologie – officient en effet par devoir. Ne sont-ils pas pris en étau entre l’impact grandissant de l’empreinte humaine sur la nature – urbanisation, agriculture, etc. – et le regard d’une opinion rétive voire opposée, par ignorance, à leur pratique ? A cet égard, enfin, il semblerait légitime et même nécessaire que les instances cynégétiques affichent à leur endroit un soutien plus résolu, plus franc et plus régulier qu’elles ne le font actuellement. Ces oubliés de la lutte pour la biodiversité le méritent, assurément.