Petit marcassin deviendra grand

À force de toujours aborder le sanglier au travers du prisme des dégâts agricoles qu’il commet, on en oublierait presque qu’il s’agit d’un animal gibier qui mérite bien mieux que d’être considéré comme un nuisible. Que faut-il donc pour que le petit marcassin devienne grand ?
DANS LE CHAUDRON MAGIQUE
Le devenir d’un marcassin se décide bien avant sa naissance, au fond d’un chaudron. En effet, c’est la constitution physique de ses parents qui détermine si oui ou non ses débuts dans la vie lui permettront d’atteindre l’âge adulte.

TOUJOURS ÉCOUTER SA MÈRE
Son poids et sa date de naissance, sont également deux éléments cruciaux en termes de survie et de développement de la masse corporelle. Autre point déterminant, le niveau d’expérience dont bénéficie sa mère et son aptitude à transmettre cette expérience via son patrimoine génétique. On parle dans ce cas d’épigénétique. La présence ou non d’autres laies au sein de la compagnie permettra également au marcassin de s’inspirer quant à son comportement face à diverses situations. Une étude autrichienne a mis en évidence le fait que les laies au comportement craintif garantissent un meilleur taux de survie de leur progéniture, que ce soit au stade de marcassin mais également aux stades adolescent et adulte. Les stratégies d’évitement des risques s’héritent donc de laie à marcassin.

BANDES DE JEUNES
Mais, les choses sérieuses débutent vraiment au moment où le jeune mâle s’émancipe de sa compagnie, repoussé par les laies du groupe qui ne tolèrent plus sa présence. C’est l’heure de la dispersion. À ce moment de leur vie, les mâles se retrouvent pour la première fois livrés à eux-mêmes et forment parfois de petits groupes avec d’autres congénères qui subissent le même sort. Ces regroupements ne durent en général que quelques semaines et ne sont soumis à aucune hiérarchie, contrairement aux compagnies organisées. Les distances parcourues par les jeunes mâles au cours de leur dispersion sont très variables, allant de huit kilomètres en moyenne jusqu’à 30 ou 40 km dans des cas extrêmes. Le maximum qui ait été documenté à ce jour concerne un jeune mâle ayant parcouru 250 km !

LE PÉRIL JEUNE
Un phénomène très bénéfique au brassage génétique, mais qui comporte énormément de risques pour les jeunes mâles dont près de 60% n’atteignent pas leur troisième année de vie (en Autriche). Durant leurs pérégrinations à la recherche d’un territoire, les jeunes mâles ne peuvent compter que sur leur apprentissage acquis et l’inné pour éviter les pièges qui leurs sont tendus, mais leur survie est également liée à leur caractère. Tout comme les humains, les sangliers présentent des caractères différents selon les individus. Ainsi, certains jeunes mâles se contenteront de rester à proximité de leur lieu de naissance tandis que les plus téméraires partiront à la conquête de nouveaux horizons… sans jamais les atteindre pour la plupart.

UNE ESPÈCE ULTRA-ADAPTABLE
Si l’on considère ces comportements à l’échelle de l’espèce, on remarquera qu’ils sont cruciaux en termes de capacité d’occupation et d’exploitation de différents milieux. En fait, il existe un profil de sanglier pour chaque profil de milieu, et c’est précisément la raison qui explique la prolifération de cette espèce, particulièrement opportuniste, capable de s’adapter très rapidement à tous les changements que l’homme lui impose sur ses biotopes. En extrapolant, il est également facile de saisir à quel point les modes de chasse figés sont incapables de régler la question des densités de sangliers.

MUSCULATION
Mais, revenons-en à nos jeunes sangliers mâles qui atteignent l’âge adulte. À ce stade, il leur est primordial de prendre du muscle rapidement et de façon conséquente. Une fois encore, une étude menée par l’université de Hohenheim en Allemagne a démontré que, là aussi, les différents profils de personnalité ont une influence sur la physiologie du sanglier.

8 ANS, LE BEL ÂGE DU SANGLIER
Tandis que certains individus n’ont besoin que de 351 jours pour atteindre le poids vif de 90 kg, d’autres ont besoin de six mois supplémentaires alors qu’ils vivent sur des territoires identiques. Pour les jeunes sangliers devenus adultes, le poids est un élément fondamental dans leur capacité à saillir une laie, un élément qui se double de l’expérience à partir de huit ans, moment où le sanglier mâle peut être considéré comme étant à son apogée.

HONNEUR AUX ANCIENS
Naturellement, les populations de sangliers ne comptent qu’une infime partie d’individus âgés sur les territoires qui, de par leur « charisme », évitent aux mâles plus jeunes de se battre et risquer des blessures potentiellement fatales. On comprend ainsi l’importance d’avoir des vieux solitaires au sein d’une population de sangliers, et l’erreur qui consiste à abattre le premier suidé rencontré, sous prétexte de réduire à tout prix les densités et/ou de vouloir se prendre en photo avec une bête noire qui aurait mérité de vivre encore quelques années. À propos d’années, il est établi qu’en captivité, le sanglier peut atteindre l’âge canonique de 21 ans, mais dans la nature mieux vaut tabler sur une durée de vie qui culmine à une douzaine d’années.

PANTOUFLARDS OU VOYAGEURS
Ces grands sangliers tant recherchés par les passionnés de bête noire, sont entourés de bien des légendes. Ainsi, on a prétendu longtemps que leur rareté est liée au fait qu’ils parcourent des distances considérables pour échapper à leurs poursuivants. Une étude menée en Pologne vient de démontrer tout le contraire. Plusieurs mâles adultes ont été équipés de balises GPS, dont les résultats ont permis de déterminer que la surface moyenne des territoires fréquentés par les vieux mâles n’excède pas quelques 620 hectares. Un domaine vital qu’ils peuvent occasionnellement quitter durant le rut, pour parcourir en quelques heures jusqu’à 20 km. Des escapades de courte durée, très rapidement suivies par un retour au bercail. Là aussi, des profils très marqués sont apparus entre les individus, avec de grands voyageurs réguliers et des casaniers.

LES CLEFS DU VIEILLISSEMENT
Sur le plan de la gestion cynégétique, ces éléments permettent de mettre à jour des lignes de conduite qui devraient aboutir à une meilleure prise en compte des intérêts et des besoins de Sus scrofa*. Nul besoin de disposer d’un territoire couvrant des dizaines de milliers d’hectares pour laisser vieillir les mâles. En France, la plupart des ACCA disposent d’une surface très largement suffisante, et dans les autres départements il serait envisageable d’appréhender le vieillissement des sangliers en regroupant deux ou trois territoires de chasse.

ÉPARGNER LES JEUNES ADULTES
Des éléments de réflexion qui devraient inciter les gestionnaires de territoires de chasse à un peu de retenue dans les consignes de tir concernant les sangliers mâles, au même titre qu’ils le font pour les cerfs coiffés. Lever plus souvent la carabine leur permettrait de récolter plus régulièrement des spécimens bien armés, en fin de vie, à même de redorer le blason d’un gibier qui mérite plus de respect.

* Sus scrofa : nom scientifique de notre suidé préféré.