LE COUTEULX DE CANTELEU, un maître de la vénerie française

LE COUTEULX DE CANTELEU, un maître de la vénerie française

La vénerie française, en raison de la contestation dont elle fait l’objet, est très médiatisée, de même que le retour du loup. En France, un homme fit en son temps la synthèse de ces deux sujets : LE COUTEULX DE CANTELEU, célèbre veneur de loups. Focus sur cet homme qui serait perçu aujourd’hui d’une étonnante modernité.

DU CORMORAN AU LOUP

En 1870, paraît La Pêche au cormoran du comte Jean-Emmanuel-Hector LE COUTEULX DE CANTELEU. Confidentiel, le livre traite de cette technique de chasse ancestrale originaire du Nord de la Chine, et qu’il pratique lui-même. Moins intéressé par la prise du poisson que par la chasse d’un animal au moyen d’un autre animal dressé à cette fin, notre homme est fasciné par le travail de ces redoutables auxiliaires  : « Il est très amusant de voir combien ces oiseaux sont actifs et rapides dans l’eau et combien leur adresse se perfectionne par l’habitude et l’expérience. Ils explorent les rives, les creux formés par les racines, les pierres, etc. ; c’est là qu’ils attrapent généralement le poisson, soit en le saisissant par la queue et le retirant du trou ou de la vase, soit en le forçant à débûcher en pleine eau. »

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Illustration tirée de son ouvrage, représentant un cormoran devant la demeure de LE COUTEULX.

En maints passages, LE COUTEULX use du vocabulaire de la vénerie et évoque des « situations » propres à celle-ci  : « Les poissons poursuivis semblent quelquefois forcés. Ils n’échappent guère que par des crochets ou en tournant brusquement en arrière », et de mentionner un certain M. SALVIN, qui raconte avoir vu son cormoran favori « épuiser une grosse truite en tournant autour d’elle comme une toupie, comme pour mieux renfermer le poisson dans un cercle, de telle sorte qu’il ne pouvait s’échapper malgré tous ses efforts… »

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AUCUN GOÛT POUR LA PÊCHE À LA LIGNE OU LA CHASSE À TIR

« Chasser ou pêcher ! avec l’animal prédateur, mieux : grâce à lui… » Telle est la véritable passion du comte, la pêche à la ligne comme la chasse à tir le laissant froid. En introduction à sa Pêche au cormoran, il fait d’ailleurs la part belle à la fauconnerie, regrettant qu’en France elle ne soit plus prisée. Il essaiera bien d’y ranimer cet art affectionné par Louis XIII, en créant un équipage avec lequel il « volera » plusieurs années, sans parvenir, toutefois, à faire des émules. N’importe ! LE COUTEULX est un puriste, il aime l’animalité pour elle-même, il a le dressage dans le sang. Et c’est peu dire, en effet, qu’il est resté comme un grand maître de la vénerie française, d’une rigueur implacable s’agissant de l’éducation de celui qu’il considère comme « l’âme de la chasse » : le chien.

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UN BOURGEOIS NORMAND

Né en 1827 au château de Saint-Martin, à Étrépagny (Eure), où il mourut en 1910, LE COUTEULX est issu d’une ancienne famille bourgeoise catholique qui fit fortune dans le commerce et la finance. L’histoire des LE COUTEULX est celle d’une « dynastie » qui, grâce à son patrimoine, devint avant la Révolution un acteur incontournable du système bancaire hexagonal. N’ayant pas aspiré à la condition noble, les LE COUTEULX ne subirent pas la chute de l’Ancien Régime. Notre veneur devra son titre à son grand-père, lequel, après avoir exercé diverses fonctions politiques en Normandie, fut fait comte DE FRESNELLES par l’Empereur en 1808, puis pair de France et comte LE COUTEULX DE CANTELEU par Louis XVIII.

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Sans entrer dans le détail, on peut dire qu’il reviendra à Jean-Emmanuel-Hector d’assumer, sur le plan des valeurs, ce statut aristocratique. De fait, loin des « affaires », c’est vers la carrière militaire qu’il s’oriente d’emblée. Saint-Cyrien affecté au 1er régiment de carabiniers, puis lieutenant au commandement de l’escorte du Prince-Président (futur Napoléon III), il n’a pourtant que 25 ans lorsqu’il quitte l’armée pour rejoindre son château natal. À l’abri du besoin, il s’y consacre alors à l’élevage de chevaux et de chiens, et à la chasse, seules passions dignes de son rang, épousant, en 1864, la veuve de son frère aîné, qui lui donnera un fils. Un an plus tard, il sera élu maire d’Etrépagny, et siègera pendant quarante ans au conseil général de l’Eure.

DE MILITAIRE À LIEUTENANT DE LOUVETERIE

En 1852, le voilà lieutenant de louveterie de l’arrondissement des Andelys, à la suite de son père ; huit ans plus tard, il le sera à Louviers. Il traque le loup avec sa meute de griffons dans la plus pure tradition du courre.

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Les griffons vendéens du comte.

Parallèlement, il œuvre à régénérer certaines races de chiens courants (de Gascogne, de Saintonge, etc.) et à en préserver d’autres devenues rares (fauve de Bretagne, chien normand, etc.). Très attaché au Saint-Hubert (« Pas un chien n’est plus sûr de change ; aucun ne reste plus obstinément sur son animal au milieu de cinquante autres »), il contribue à le réintroduire en France, prétendant en avoir élevé plus de 300 !

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Le Saint-Hubert.

Son savoir en matière de croisements lui vaudra également beaucoup d’admirateurs à l’étranger : prisé jusqu’en Russie, le basset artésien normand qu’il créera sera même classé pour les concours en Angleterre.

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Le basset artésien normand.

UN AUTEUR FERTILE

Parmi la dizaine de volumes qu’il a publié – De la condition des chevaux de chasse en France (1867), L’histoire du cheval arabe (1885), Les Races de chiens courants français au XIXe siècle (1873), etc. – son livre le plus important demeure Manuel de Vénerie française (1890).

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Nul effort stylistique sous la plume de notre austère nemrod, mais quantité d’observations et de conseils sur la chasse à courre, l’art de prendre « un animal vivant à l’état libre et sauvage dans de grandes forêts, avec des chiens courants qui le suivent et le poursuivent jusqu’à ce qu’il s’avoue vaincu. » La condition première ? Une parfaite connaissance de ses chiens : qualités, défauts, intonation des voix, attitudes, seul ou en meute. Spécificités de chaque race, tenue du chenil, reproduction, soins, constitution de l’équipage, dressage des limiers, devoirs du veneur, du piqueur et des valets de chiens  : rien n’est oublié ; rien n’a vieilli. « Le chien est la base de la chasse à courre. Sans bons chiens, rien à faire ; un médiocre piqueur, mais qui ne gênera pas ses chiens, un maître peu savant, mais qui aura confiance en eux, prendront leurs animaux si leurs chiens sont très bons, et un bon piqueur et un fin veneur ne feront rien s’ils n’ont que de mauvais chiens », tranche-t-il. Ou encore : « Il ne faut jamais oublier que vos bons chiens sont plus malins que vous… ».

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UNE BIBLE DES VENEURS

Naturellement, le traité examine chaque animal de vénerie, avec méthode et précision, ses mœurs, son habitat, sa physiologie, mais aussi les difficultés de son courre en fonction du terrain ou de la météo, les races de chiens idoines, etc. Pour LE COUTEULX, si empirique soit-elle, la chasse est « véritablement une science » et doit être appréhendée comme telle : c’est l’inverse de la billebaude ! Prendre un lièvre, animal qui a « si peu de sentiment », venir à bout d’« un sanglier qui s’accompagne » ou qui se « forlonge », reconnaître, « les jours de mauvais revoir », l’allure ou le pied de tel brocard, « détourner » le cerf qu’on « attaquera » bientôt ou déterminer si le loup s’est « rembuché » là où il s’est « déchaussé », cela exige de solides connaissances, des connaissances constituées au fil des siècles et dont notre langue porte, aujourd’hui encore, la trace. Le Manuel de LE COUTEULX en témoigne.

VENEUR ET ÉLEVEUR DE LOUP

Mais, impossible d’achever ce bref portrait du comte sans évoquer le courre auquel il fut le plus attaché : celui du loup, « le plus beau de la vénerie française », écrit-il. LE COUTEULX regrette qu’il soit depuis si longtemps perçu comme l’ennemi à détruire. Il en éleva plusieurs, parvint même à faire de certains des limiers, et publia en 1861 le premier livre cynégétique illustré de photographies, La Chasse du loup. Superbe, l’ouvrage est un hommage à Canis lupus.

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Il y décrit ses qualités naturelles et les obstacles qu’elles opposent aux chiens. Ceux-ci doivent être exceptionnels, « ne chasser que le loup », être « vigoureux, hardis » et « dotés d’un grand fond » pour « empaumer sa voie froide et légère » comme nulle autre. Cependant, et cela a quelque chose de fascinant sous la plume de notre homme, si l’on peut espérer prendre louve ou louvart (dans les règles de l’art, c’est-à-dire sans relais*, bien entendu !), les chances sont, pour LE COUTEULX, infimes de forcer un grand loup en ces mêmes conditions, trop « intelligent », trop « robuste », souligne-t-il en substance.

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La question, évidemment, ne se pose plus de nos jours, mais sans doute serions-nous bien inspirés de relire et méditer les propos du comte sur cet animal qui déchaîne tant de passions. Sans oublier ses autres ouvrages, qui n’ont, à plusieurs égards, pas pris une ride.

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*Relais : consiste à changer de chiens en cours de chasse.

Crédits photos : JOURS DE CHASSE / SHUTTERSTOCK / INSTASOLOGNE