Des lièvres dans le chaudron magique

Des lièvres dans le chaudron magique

Dans les grandes régions de plaines du Centre et du Nord du pays, le lièvre est parfois chassé en battue, voire même selon la technique dite du chaudron, ou rond de Beauce. AIR & NATURE a assisté à l’une de ces chasses dans le département du Nord.

C’est une de ces matinées brumeuses de fin d’été, une ambiance de rentrée. Sur la route qui nous mène chez Philippe et Monique, la brume est à couper au couteau, l’air est cotonneux. Cela ne trompe pas, quand ce voile se sera dissipé, la journée sera splendide. En sortant de la maison de nos hôtes, cette prédiction météorologique est confirmée, un soleil éblouissant inonde la plaine. Le temps du briefing d’avant chasse, une légère brise a dissipé les épais nuages bas, et les paroles de Philippe ont levé les quelques interrogations que nous pouvions avoir. Les consignes sont claires, aujourd’hui nous pouvons tout tirer, avec pour seule limite une grosse vingtaine de lièvres.

Des lièvres dans le chaudron magique : photo 2
Le temps extrêmement sec ne facilite pas le travail des chiens.

L’espèce est en plan de chasse dans le département du Nord, mais étant abondante sur de nombreux territoires, les attributions sont généreuses. En effet nous chassons sur moins de 100 ha, et Philippe nous informe qu’il n’est pas improbable que nous réalisions le quota. La reproduction des perdrix n’étant pas mauvaise (ce reportage n’a pas été réalisé cette année), il ne nous fixe aucune limite. Nous verrons bien le tableau à l’issue des deux premières manœuvres.

Des lièvres dans le chaudron magique : photo 3
À peine arrivé sur le territoire, des lièvres se dégitent et courent à l’horizon.

Et puis, ce territoire n’est chassé qu’une fois par an. Nous nous regroupons, chasseurs et chiens, dans un minimum de véhicules. Nos ainés iront se placer au bout de la première traque, quant aux grands marcheurs, les plus jeunes, nous nous donnons rendez-vous au cimetière. Certes nous irons tous un jour, mais pour l’heure il ne s’agit que du point de départ le plus commode. Avec nos accompagnateurs non-chasseurs, mon fils de 4 ans m’accompagne pour l’une de ses premières chasses, nous sommes une bonne quinzaine à débuter la traque en foulant un champ de pomme de terres tout juste ramassées. Une bande étroite le long d’un lotissement, telle est notre ligne de départ. Et déjà plusieurs lièvres se dégitent dans nos pieds, mais la proximité des maisons, et la connaissance que nous avons de la faible tolérance des riverains à la chasse, retiennent nos coups de fusil.

Des lièvres dans le chaudron magique : photo 4
Les semis d’engrais vert pas encore levés, recèlent étonnamment de fortes densités de lièvres.

Qu’à cela ne tienne, nous devrions sans mal tirer chacun notre lièvre quotidien, tant leur densité est impressionnante. Il peut donc attendre. Alors que nous nous éloignons des résidences des objecteurs de conscience cynégétiques, et que notre ligne de marche s’étire peu à peu en une courbe qui dessine un fer à cheval, déjà une quinzaine de lièvres fait les cents pas devant nous. Lorsque les ailiers auront rejoint les postés à chaque extrémité de leur ligne, la nase sera refermée. Ou plutôt devrions nous dire le chaudron, puisque c’est le terme usité pour ce mode de chasse.

Des lièvres dans le chaudron magique : photo 5
À première vue, il ne sera pas difficile pour chacun de tirer son lièvre.

Le couvercle est donc refermé sur ce chaudron, mais nos lignes distendues laissent suffisamment de place pour qu’un lièvre passe entre deux fusils sans rien risquer. Les perdreaux semblent absents. Deux compagnies se sont défilées au tout début, et aucune ne semble avoir été prise par notre manœuvre d’encerclement. Du coup, je glisse deux coups de 5 dans mes canons, car le lièvre mérite une grenaille conséquente. Et vu les espaces entre chacun d’entre nous, il n’est pas rare de les tirer entre 30 et 40 mètres. Au-delà la raison impose de s’abstenir, au risque de blesser. Les coups de fusils commencent à crépiter, et les lièvres de rouler dans la poussière.

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En battue, il est légal d’attendre la fin de la traque pour apposer les bracelets.

Nous avons en effet atteint la dernière parcelle de cette traque, un immense semis d’engrais vert pas encore levé, mais si lisse et si sec, que nous avons l’impression de chasser sur la surface de la Lune, ou pire l’asphalte d’un parking. Mais aussi étonnant que cela puisse paraitre, des lièvres se dégitent de cette surface, parfois à quelques mètres de chasseurs surpris. Ce qui me surprend moi, c’est de ne pas en avoir encore tiré un. Une douzaine ont déjà boulé, et plus d’une trentaine, au bas mot ont été levés, mais je n’en ai pas vu un à moins de cinquante mètres. Et plus le nœud se resserre, plus l’évidence s’impose, je ne tirerai pas un lièvre en dépit de cette incroyable abondance. La traque s’achève. Julien, mandaté par Philippe, procède au marquage des lièvres. Les bracelets doivent être apposés aussitôt le tir, sauf dans le cas d’une battue, où cela peut être réalisé sitôt la fin de celle-ci, avant tout déplacement en véhicule. Après un déjeuner pantagruélique, nous avons un peu de mal à reprendre la chasse.

Des lièvres dans le chaudron magique : photo 7
Après la pause, l’après-midi vient le temps de fouler les betteraves.

Arguant que mon fils a du mal, avec ses petites jambes, à suivre le rythme, je me propose d’aller sur le côté de la ligne des postés pour fermer efficacement la traque. Comme nous avons quasiment atteint le quota de lièvres, seuls les rares chasseurs qui n’en ont pas eu l’occasion sont autorisés à en tirer un chacun. Dissimulé derrière quelques adventices sur un chemin enherbé, j’observe, Wallerand à mes côtés, les traqueurs remonter le champ de betteraves qui nous fait face. Avec cette chaleur nous espérons que quelques lièvres et compagnies de perdreaux y ait cherché la fraicheur des feuillages. À peine le coup de trompe de début de traque a retenti qu’un lièvre poussé par Hardy, la chienne de François, jaillit dans le chaume voisin à une vingtaine de mètres. Un coup de 5 le fait proprement bouler.

Des lièvres dans le chaudron magique : photo 8
Enfin, un lièvre jaillit à l’angle du chaume et du champ de betteraves.

L’objectif est atteint ! Du coup, j’opte pour deux cartouches de 7, dans l’espoir que des perdreaux me passent au-dessus de la tête en battue. À peine ai-je refermé mon fusil qu’une compagnie fonce sur mon poste. Trois perdreaux plus tard, Wallerand exhibe fièrement les oiseaux qui ont rebondi dans l’éteule. Et pour conclure en beauté cette journée, à la surprise de tous, un renard attendra les derniers mètres pour jaillir dans les pieds des traqueurs, proprement cueilli à bout portant. Sans doute quelques lièvres et perdreaux seront épargnés pour la prochaine saison par ce tir heureux.

Des lièvres dans le chaudron magique : photo 9
Trois perdreaux et un renard viendront s’ajouter au lièvre. Un carnier trop lourd pour Wallerand du haut de ses quatre ans. Mais la relève semble assurée !