Dégâts de grands gibiers : les chasseurs ne veulent plus payer

Dégâts de grands gibiers : les chasseurs ne veulent plus payer

Dans un communiqué du 21 octobre, la Fédération Nationale des Chasseurs se réjouit que le Conseil d’État saisisse le Conseil Constitutionnel sur la légalité du système actuel d’indemnisation des dégâts de grand gibier aux agriculteurs.

Depuis 1968, les chasseurs assument seuls le coût intégral des dégâts agricoles dus au grand gibier. A l’époque, ils avaient accepté cette mesure en échange de la suppression du droit d’affût. Ce droit accordé aux agriculteurs permettait à tout exploitant de réguler à tir tout grand animal commettant des dégâts sur ses cultures. C’est une des raisons qui limitaient fortement les populations de grands animaux, d’autant plus qu’il y avait encore beaucoup d’agriculteurs dans nos campagnes. Dans le contexte de l’époque, beaucoup de chasseurs étaient favorables à la suppression de ce droit, afin de permettre le développement des populations. Quelques années plus tard, la mise en place de plans de chasse afin de limiter les prélèvements, participa de la même volonté.

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Pour contenir l’explosion des populations de sangliers mais surtout limiter leurs dégâts, certains envisagent de restaurer le droit d’affût supprimé en 1968.

Les nombreux chasseurs (plus de 2 millions à la fin des années 70) payaient alors de faibles dégâts au travers d’une redevance perçue par l’Office Nationale de la Chasse (ONC), ancêtre de l’OFB. Aujourd’hui, la situation est diamétralement opposée. Les chasseurs sont deux fois moins nombreux et les populations de grands animaux ont explosé. Dans les années 70, il se tuait au plus 50 000 sangliers par an sur toute la France, aujourd’hui 800 000, soit 16 fois plus. Et, dépenses de prévention comprises, la facture payée par les chasseurs s’élève à environ 80 millions d’euros/an pour l’ensemble des chasseurs.

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Deux fois moins de chasseurs aujourd’hui, pour maîtriser une population de sangliers presque 20 fois plus abondante que dans les années 70.

Certains attribuent cette explosion des populations à la seule volonté des chasseurs et notamment à un agrainage qui n’aurait pour but que de favoriser cette explosion. Sans nier l’impact que peuvent avoir localement de telles pratiques, l’agrainage ne saurait expliquer à lui seul ce phénomène. Willy Schraen, le président de la FNC, a encore expliqué dans les médias cette semaine, que l’explosion des populations de certains grands animaux, et particulièrement du sanglier, est un phénomène mondial. Or, les chasseurs français ne sauraient en être tenus pour responsables, et l’agrainage ne se pratique pas dans de nombreux pays.

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Très discrets il y a cinquante ans, les sangliers sont aujourd’hui pléthoriques.

D’autres explications sont à rechercher et elles sont multiples. Indéniablement, le réchauffement climatique a des effets sur les fructifications forestières et l’abondance de nourriture disponible. L’agriculture a aussi profondément évolué, le développement de cultures telles que le maïs, le tournesol ou le colza, ainsi que la généralisation des couverts hivernaux comme la moutarde offrent gite et couvert toute l’année au grand gibier, d’autant plus que la taille moyenne des champs a été considérablement augmentée par les remembrements. La pression urbaine, une population humaine s’accroissant et les infrastructures l’accompagnant ont aussi créé des zones refuges sans chasse. Toutes ces raisons, et bien d’autres encore, contribuent à favoriser les grands animaux, et leurs dégâts.

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Certaines cultures, comme le maïs, ont favorisé le grand gibier.

Aujourd’hui, ce sont les fédérations départementales des chasseurs qui recouvrent les fonds nécessaires à la prévention et l’indemnisation de ces dégâts. Elles disposent de plusieurs moyens pour le faire. Le premier, via un plan de chasse, consiste à faire payer les chasseurs qui tirent des animaux en les obligeant à apposer sur chaque animal prélevé un dispositif de marquage payant. Autre solution, faire payer un timbre grand gibier à tout chasseur qui désire le chasser dans le département quand bien même il n’en tirerait jamais. Enfin, les fédérations ont aussi la possibilité d’instaurer des taxes territoriales plus ou moins élevées selon les montants de dégâts du secteur.

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Les plans de chasse avec des dispositifs de marquage permettent une gestion des grands animaux.
Si de nos jours il y a des cerfs en France, c’est grâce à cela.

Mais, malgré tous les efforts mis en œuvre de nombreuses fédérations sont en difficulté financière, et la facture des dégâts accapare tout leur budget, au détriment de leurs autres missions. En conséquence, beaucoup de chasseurs, et la Fédération nationale en particulier, ne veulent plus payer l’intégralité de la facture. Les 22 et 23 octobre 2019, un colloque extraordinaire avait réuni à Paris les pouvoirs publics, les représentants agricoles et forestiers et bien sûr les chasseurs. Les agriculteurs n’ayant aucun intérêt à ce que le système s’effondre, un dialogue réel s’était alors instauré. Le COVID-19 est malheureusement venu perturber le calendrier de cette indispensable réforme, aussi la saisie du Conseil Constitutionnel par le Conseil d’État, marque sûrement la reprise du processus. Le Conseil d’État pose une question simple : « est-il normal que les chasseurs qui ne sont pas les seuls responsables de cette situation, soient les seuls à payer ». La réponse est attendue au plus tard dans 3 mois.

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Souhaitons que cette réforme de l’indemnisation des dégâts trace son sillon rapidement, plus sûrement qu’un sanglier dans un semis !