Chamois à l’arc dans les gorges du Verdon

Chamois à l’arc dans les gorges du Verdon

Gibier emblématique, longtemps réservé aux montagnards, le chamois a vu croître ses effectifs de manière significative grâce à une gestion rigoureuse des plans de chasse. Aussi, par l’intermédiaire d’organisations telles qu’ACTÉON, il est maintenant possible pour les chasseurs de tous horizons, de venir traquer ce capriné synonyme de liberté.

Cinq heures du mat’… et leurs inséparables frissons. Les températures négatives de ce début novembre y sont, certes, pour quelque chose. Mais, c’est surtout cette tension, cette excitation presque palpable, prémices inéluctables d’une journée de chasse peu ordinaire, qui prête à frémir. Car, c’est un vrai défi que Joan, archer espagnol, tente aujourd’hui de relever.

Chamois à l’arc dans les gorges du Verdon : photo 2

UN CHALLENGE

Qui connaît quelque peu le gibier de montagne conviendra, sans conteste, que le chamois est un animal on ne peut plus discret, doté d’une acuité et d’une ouïe hors-pair. Son approche s’avère toujours subtile, et se conclut bien souvent par un tir à longue distance à l’aide d’un calibre tendu tel que le 308 Win. Approcher le prudent capriné à moins de 30 mètres, avec pour seule arme un arc, se révèle par conséquent un véritable challenge. Le type même de difficulté que recherche ce chasseur avide d’émotions sauvages.

Chamois à l’arc dans les gorges du Verdon : photo 3

UN SITE MAJESTUEUX

S’il a déjà pu récolter deux isards, Joan n’a pour l’heure jamais eu la chance de prélever son cousin alpin, Rupicapra rupicapra. Voici tout juste un an, il s’en est fallu de peu pour qu’une première tentative soit couronnée de succès. Guidé par ACTÉON, il était venu traquer le chamois sur les pentes majestueuses qui veillent sur les profondeurs millénaires du Verdon. Envoûté par la magie des lieux, et enchanté des services, il a tout naturellement décidé de réitérer l’expérience.

Chamois à l’arc dans les gorges du Verdon : photo 4

COMME DES INDIENS

Tandis que Thomas, notre guide, efface du pare-brise les derniers stigmates d’une piquante gelée nocturne, Joan déballe de son côté un curieux nécessaire de maquillage. « Tout est histoire d’ombre et de lumière », nous explique-t-il dans un français proche de la perfection. « Un animal expérimenté sait parfaitement que les super-prédateurs que nous sommes possèdent une face luisante, des yeux rapprochés, et de petites oreilles. Il est donc impératif d’effacer les reflets du visage, et de casser son relief, dans le but d’entraver sa perception par le gibier ». Maquillé façon sioux, et tout habillé de camo notre trio embarque à bord du 4×4. Quittant l’asphalte, nous empruntons cahin-caha les pistes empierrées qui conduisent aux sommets. Peu à peu, les cimes sortent de leur léthargie nocturne, pour se découper sur un ciel azuré annonciateur d’une journée ensoleillée.

Chamois à l’arc dans les gorges du Verdon : photo 5

ABORDER PAR LE HAUT

Thomas met à profit ces instants pour nous parler de la chasse du chamois, l’une des plus exigeantes qui soit. Bien qu’il n’hésite aucunement à fréquenter des altitudes extrêmes, le capriné n’est pas pour autant un hôte inconditionnel de la haute montagne. Herbivore, il préfère, le plus souvent, évoluer en forêt ou en partie inférieure de la zone pastorale, entre 800 et 2000 m, là où la nourriture reste encore abondante et facile d’accès. C’est toutefois dans les escarpements rocheux qu’il faut le rechercher. Excellent grimpeur, il privilégie les barres qui lui permettent, à la fois, de guetter vers le bas la présence éventuelle de ses prédateurs que sont le loup et le lynx, et qui lui procurent un sérieux avantage en cas de poursuite. Aussi, le guide conduit-il le plus souvent ses approches en partant du haut, de façon à tromper la vigilance du gibier. Une telle progression ayant pour objectif de surprendre l’animal par le dessus, à des distances réduites imposées par le tir d’une flèche.

Chamois à l’arc dans les gorges du Verdon : photo 6

PATIENTE SÉANCE D’OBSERVATION

Abandonnant notre véhicule sur une crête, nous nous enfonçons sous le sombre couvert d’une pinède. Cette traversée nous conduit vers un plateau illuminé recouvert d’une strate arbustive plutôt basse, faite de chênes verts, d’épineux, et de rares pins d’Alep. Débute une longue et méthodique séance de jumelage, guère facilitée par la densité de la végétation. Pas le moindre bruissement, ni le plus infime signe de vie ne viennent pour l’heure troubler la quiétude des lieux.

Chamois à l’arc dans les gorges du Verdon : photo 7

ILS SONT LÀ !

Trente minutes durant, nous allons de la sorte explorer cet océan de verdure, nous approchant à plusieurs reprises des précipices pour en scruter les profondeurs. C’est en remontant le regard sur le versant opposé que, soudain, plusieurs petites tâches sombres attirent notre attention. 500 mètres face à nous, sur une pelouse encore ombragée, se détachent très nettement six chamois paisiblement occupés à pâturer.

Chamois à l’arc dans les gorges du Verdon : photo 8

UN TRÈS LONG DÉTOUR

Descendre, puis remonter face à ces individus à l’œil aiguisé serait tout simplement voué à l’échec. Aguerri à ce genre de situation et parfaitement équipé, Thomas nous explique vouloir faire un large détour : « Nous allons obliquer sur notre gauche vers le fond du ravin, quitte à nous éloigner passablement des chamois, avant de remonter vers le sommet. Il nous faudra ensuite longer l’arrière de la crête pour tenter de surprendre la chevrée par le dessus. Inutile de vous préciser qu’un tel crochet va prendre un certain temps. Sachez toutefois que ce gibier se cantonne souvent à un territoire restreint de quelques dizaines d’hectares, et s’avère d’ordinaire peu mobile en journée. Reste que nous sommes en période de rut, et que leur comportement peut parfois s’avérer imprévisible. »

Chamois à l’arc dans les gorges du Verdon : photo 9

LE VENT POUR ALLIÉ

Sur ces paroles plutôt optimistes, notre petite troupe se remet en marche. Si le feuillage persistant des yeuses* offre l’avantage de nous abriter du regard perçant des animaux, il présente en contrepartie un inconvénient évident; chaque buisson peut, de fait, devenir le théâtre inopiné d’un nez-à-nez avec un animal qui ne manquerait pas de donner l’alerte. Notre marche doit donc se faire tout aussi silencieuse que prudente. À intervalles réguliers, nous nous retournons, histoire de nous assurer de la présence de nos proies. Ces fréquents arrêts sont aussi l’occasion de nous renseigner sur la direction des vents. Éole reste pour l’instant d’une franchise irréprochable et joue en notre faveur. Désormais hors de vue des caprinés, nous forçons le pas jusqu’au sommet.

Chamois à l’arc dans les gorges du Verdon : photo 10
Joan prend le vent avec sa poire à talc.

POSSIBLE À LA CARABINE, MAIS PAS À L’ARC…

Thomas nous désigne un piton rocheux situé à 700 m. Selon ses estimations, les chamois devraient se situer quelque part à son aplomb. Décision est prise de descendre de 2 à 3 mètres sur le versant opposé, avant de raser la crête, les yeux rivés sur l’amas rocheux qui nous sert de cap. Nos pas se font réfléchis, appliqués pour éviter le moindre crissement. Plus d’une heure s’est écoulée depuis notre toute première observation, quand enfin nous atteignons notre objectif.
Parcourant sur les genoux les derniers mètres pour nous hisser jusqu’à la cime, nous découvrons la pelouse servant de pâture à la chevrée. Celle-ci, dirigée par un bouc coiffé d’un respectable cornage, a entre-temps glissé vers le bas de la prairie, à une centaine de mètres. Trônant fièrement au milieu des siens, le maître de céans ferait une cible parfaite pour qui serait armé d’une carabine, mais s’avère bien trop éloigné pour notre archer.

Chamois à l’arc dans les gorges du Verdon : photo 11

APPROCHE À PAS FEUTRÉS

La complexité de la situation ne décourage pas le fier espagnol qui, contre toute attente, défait ses lacets puis enlève ses chaussures, aussitôt imité par son guide. Ils ont visiblement la ferme intention de mettre à profit le peu d’arbustes qui parsèment la pelouse, pour tenter d’approcher au plus près. Minute après minute, l’écart se réduit jusqu’à ce que les chasseurs parviennent au pied d’un chêne vert, jugé assez proche pour que le tireur puisse tenter sa chance. À l’instant même où Joan ouvre le compound, la troupe décide subitement de se mettre en branle. L’allure paisible laisse cependant penser que nous n’avons pas été détectés. Observant, les chamois se diriger vers le pied d’un promontoire dominant le vallon, Thomas nous invite à rebrousser chemin. Objectif, escalader la roche calcaire, pour cueillir les fuyards sur l’autre versant.

Chamois à l’arc dans les gorges du Verdon : photo 12

FACE À L’ABÎME

Quelques minutes plus tard, nous prenons position au bord d’un gouffre. Sous nos pieds, plusieurs étages de barres rocheuses disparaissent dans les profondeurs, séparées par d’épais rideaux arbustifs. Immobiles, les sens en alerte, nous balayons l’abîme à la recherche du moindre indice.

Chamois à l’arc dans les gorges du Verdon : photo 13

QUAND LA FLÈCHE FILE

Soudain, le bruit caractéristique d’une pierre qui roule… À la queue leu-leu, une chèvre, un éterlou et un cabri font une apparition furtive sans jamais s’arrêter. Puis, le sifflement caractéristique d’un mâle en rut nous parvient. Immobile, la silhouette espérée se dresse maintenant à découvert, crinière dorsale hérissée. Un rapide coup d’œil au télémètre avant que le bras ne projette l’arc en avant ; 21 mètres… La corde se tend, glissant irrésistiblement sur les poulies. Rivée sur le décocheur, la main experte ne tremble pas. Un chuintement tout juste perceptible, celui de la flèche qui file inexorablement vers sa cible.

Chamois à l’arc dans les gorges du Verdon : photo 14

LA CHUTE FINALE

Mortellement touché, le chamois tente une fuite désespérée dans un fracassant roulé-boulé, avant de disparaître de notre vue. Quelques instants de répit bien mérité, juste le temps de laisser retomber la tension, et les deux compères se lancent à sa recherche. Il faudra près de deux heures, pour qu’ils remontent exténués, mais heureux, en ayant tracté la dépouille retrouvée 300 m en contre-bas.

Chamois à l’arc dans les gorges du Verdon : photo 15

Plus que toute autre, la chasse de Rupicapra rupicapra ne se conclut rarement que par la seule pression de l’index. Dans un tel milieu, encore faut-il s’assurer pouvoir récupérer son gibier, avant de décocher ou de presser la queue de détente. Ici, ne pas tirer est un acte de chasse qui, plus qu’ailleurs, prend tout son sens.

Chamois à l’arc dans les gorges du Verdon : photo 16

* Yeuse : autre nom du chêne vert

Page Facebook de l’association ACTÉON : https://www.facebook.com/Acteon.Sud.France