Approches créoles sur l’île arc-en-ciel

Réputée pour la quête du cerf de Java, en plus de ses attraits paradisiaques, l’île Maurice regorge de trésors cynégétiques pour le chasseur à l’arc éclectique. C’est un des précurseurs de la chasse à l’arc sur l’île, Lionel BERTHAULT, qui sera mon guide.
Pour ce voyage en famille, la chasse occupera quelques demi-journées pendant le séjour ; un point fort de la destination qui mêle très facilement tourisme et activité cynégétique.

Concept novateur depuis peu, Lionel nous hébergera chez lui dans sa maison toute moderne pour une immersion dépaysante et authentique. Le partage n’est pas un vain mot dans sa conception de la chasse et cela se retrouve dans ses projets.

LE COCHON « MARRON »
L’objectif de ma chasse pour ce séjour est le cochon marron. Par « marron », on entend : retourné à l’état sauvage. Effectivement, il ne s’agit pas d’une espèce endémique. Introduit par les colons hollandais au 17e siècle, ce suidé est originaire d’Indonésie, des Iles de Java, des Moluques et du Timor oriental. Elevé au préalable pour assurer de la viande aux marins, l’espèce s’est répandue sur l’île et a fait souche. Quelques retrempes ponctuelles passées avec des porcs domestiques s’expriment encore par des colorations plus claires au niveau des pattes. Sorte de modèle réduit de nos sangliers, les plus beaux cochons marrons vont faire 40 à 50 kg, exceptionnellement plus.

Il est d’ailleurs assez difficile d’estimer leur poids pour nous, chasseurs européens, car nos références sont un peu déboussolées : parfois taillé comme un ragot de 80 kg, alors qu’il n’en fait pas 40 ! Le cochon marron est armé ; il peut présenter un très joli trophée proportionnellement à sa taille.

Nous le chasserons uniquement à l’approche, à l’arc. Par mes expériences précédentes de chasse ici, je sais combien le biotope de l’île est merveilleux pour la pratique de la « chasse fine », riche d’une végétation variée, d’un relief vallonné, permettant la recherche de proximité.

CASE NOYALE
Pour cette première journée, accompagné de mon fils Hugo, nous nous rendons sur la côte Ouest de l’île, dans le territoire de Case Noyale. Contrairement au Sud où nous résidons, la végétation diffère, proche d’un paysage de savane. De vastes zones de graminées, avec des acacias, manguiers, eucalyptus, mangoustaniers, et par ailleurs des formations boisées sur les premières pentes, avec de typiques faux aloès. Bizarrement, tout est encore vert grâce aux pluies inhabituelles pour la saison qui se sont enchainées depuis la fin de l’été tropical.

UN DOUBLÉ DE LIÈVRES À L’ARC !
Le soleil est avec nous et la température bien agréable avec les alizés qui soufflent. S’ils masquent les bruits de nos pas, ils s’avèrent cependant tournants, ce qui ne va pas nous simplifier la chasse. Nous décidons donc de faire une grande manœuvre pour revenir vent dans le nez en fin de journée. Une demi-heure après le début de chasse, nous « tombons » littéralement sur deux lièvres à collier (Lepus nigricollis) en train de grignoter de la verdure, nous tournant le dos ! Un coup d’œil à Lio, qui me confirme d’un hochement de tête.

J’aligne le premier, qui gicle sur la gauche et tombe à vue.

Puis je remets une flèche sur l’arc pour le second, qui ne s’est aperçu de rien et a seulement levé la tête. Touché mortellement par ma décoche, je le retrouve après avoir suivi une vingtaine de mètres la piste de sang.

Deux lièvres à l’arc, c’est une première pour moi ! Cela nous met dans de bonnes prédispositions pour la suite.

À LA RECHERCHE D’UN BEAU MÂLE
Un peu plus tard, après avoir laissé 3 laies sur notre droite dans une pente, nous arrivons dans un bois qui semble propice à la rencontre. Les boutis frais valident le choix du secteur.

Toujours silencieusement, nous progressons dans le sous-bois. Quand Lio m’arrête ! « Un beau mâle sur la droite ! ». Celui-ci nous arrive dans une coulée qui chemine 15 m devant nous. J’arme mon arc et attends que le cochon se rapproche et soit plus de profil. Lio fait un petit bruit pour l’arrêter, ce qui fonctionne, et je décoche ! Le bruit est éloquent ; l’atteinte semble un poil derrière l’épaule. Le cochon prend la fuite dans une grande boucle. Nous récupérons la flèche dont l’odeur confirme nos craintes. Encore léger ¾ avant, le cochon s’est un peu plus tourné vers nous au bruit, ce qui a déporté l’axe de pénétration vers l’arrière. La recherche s’annonce compliquée, je suis dépité…

PISTAGE À L’AFRICAINE
Effectivement, nous ne trouvons aucun indice, aucun sang dans sa fuite. Nous vérifions un sentier, aucune empreinte. Nous partons à l’opposé, puis Lio m’annonce du sang. Quelques gouttes au sol. Lio en tête, le pistage débute et s’enfonce en forêt. Une telle situation en France aurait trouvé son dénouement par une recherche avec un chien de rouge, à froid le lendemain. Mais ici, il est important de retrouver le gibier avant la nuit pour éviter la perte de la venaison. Sans chien de sang, c’est le talent du guide qui fait la différence. L’expérience africaine de Lio est pour le coup bien précieuse. Après quelques centaines de mètres, la fuite nous amène près d’un petit ruisseau. Nous prospectons la rive opposée, sans trouver d’indice.

Le soir commence à tomber et la luminosité décline. Nous reprenons de notre côté, jusqu’à de nouveau retomber dans la rivière. Quand le cochon, baugé au bord de l’eau, démarre 5 mètres devant nous, traverse la rivière, rentre dans la végétation et s’arrête ! Nous distinguons sa silhouette, immobile, et lorsque je me prépare à tirer une flèche d’achèvement, nous l’entendons pousser son dernier souffle ! Quel soulagement ! Il aura été jusqu’au bout de ses forces.

Nous savourons ce moment de satisfaction, admirons le trophée de ce petit suidé aux grandes quenottes et nous le chargeons pour le ramener jusqu’à un chemin carrossable. Une bonne suée pour clore cette journée !

LES CANNES À SUCRE ET LE GOLF
Lio et moi nous préparons pour une petite approche du soir, au départ directement de sa maison à pied. Quel bonheur ! Nous longeons une petite rivière au milieu des champs de canne à sucre et déjà des indices de cochons, bouttis, traces.

À quelques dizaines de mètres de sa maison ! Cette rivière nous emmène jusqu’aux abords d’un golf. Les cochons sont bien évidemment une plaie pour les parcours. Dans ce secteur, compte tenu des dégâts sur les cannes à sucre et sur le golf, les règles sont simples : pas de consigne. Tout cochon doit être tiré.

Après une heure de chasse, nous arrivons sur les rives d’un réservoir, en hauteur, pour vérifier les bordures. Toujours pas de cochon en vue. Nous redescendons jusqu’aux abords du golf. Une végétation de graminées et d’adventices d’un mètre de haut nous fait avancer très lentement ; les cochons peuvent être partout. Dans l’axe d’un chemin, je repère deux animaux à une centaine de mètres devant nous. Ils rentrent sur notre gauche. Nous décalons pour les retrouver en faisant une petite boucle, espérant les avoir à bon vent.

Les minutes s’égrènent ; nous avançons tout doucement, profitant d’un fossé qui nous abrite. Lio m’annonce les cochons devant nous. Une laie tirable à 20m. Ils sont en train de manger la végétation et nous surplombent légèrement.
J’arme mon arc et attend qu’elle se positionne bien. Encore de face, elle avance un peu vers nous, se tourne sur sa droite et s’arrête, plein profil. Je décide de tirer et décoche, pile quand elle redémarre ! Le temps que la flèche arrive, l’atteinte est arrière… Quelle malchance !

La recherche ne donnera rien, le terrain ayant été lessivé par une pluie tropicale dans les minutes qui ont suivi. Nous sommes revenus plus tard avec des lampes, espérant retomber sur une trace, une odeur, un indice, à ratisser les alentours, mais sans succès. Une pilule difficile à avaler. La difficulté de la chasse à l’arc où tout se joue à quelques centimètres.
LE TERRITOIRE DE DALSING
Pour cette sortie, nous partons chasser sur le territoire de Dalsing, dans les hauteurs au-dessus de Bel Ombre. Un paysage verdoyant, vallonné, arboré, traversé de cours d’eau, mosaïque de zones ouvertes et de bois. Un formidable terrain de jeu pour le chasseur à l’arc !

Après une prospection le long d’une petite rivière qui serpente, nous décidons d’aller sur un secteur un peu plus haut. Dans notre progression, nous entendons le cri d’alerte des martins tristes (Acridotheres tristis), sorte de petits mainates, qu’on retrouve souvent en compagnie des cochons pour se nourrir de leurs parasites, ou leur chiper les vers devant le groin. Nous marchons sur des œufs jusqu’à arriver au sommet de la colline. Les boutis tout frais ne mentent pas ; des cochons étaient là. Alertés par les martins, ils ont pris la fuite.

Dans la soirée, nous allons ensuite approcher un cochon jumelé à plusieurs centaines de mètres pour nous faire aboyer par une biche qui va provoquer sa fuite alors que nous arrivions sur sa position.

Puis, nous allons nous trouver à moins de 10m d’une laie dans de la végétation basse, trop grosse pour être prélevée sans risque qu’elle soit pleine ou suitée. Quand Lio m’annonce une compagnie à plus de 500 m, le long d’un fossé… Il est 17h30, le soleil se couche à 18h, je peux tirer jusqu’à 18h20… On a deux belles collines à monter et redescendre. On fait quoi, on le tente ? Allez !
Nous contournons la pente, et nous cassons le nez sur un magnifique mâle qui prend la fuite aussitôt ! Dommage, nous aurions pu l’anticiper. L’approche continue et nous apercevons quatre suidés en train de vermiller dans des graminées. Lio m’annonce une petite laie tirable. J’attends que le cochon reprenne ses boutis pour armer discrètement l’arc. Je me calme, prends la visée et décoche.

L’atteinte me semble bonne. La fuite en pleine course dans la montée laisse planer le doute ; comme toujours à l’arc, tant qu’on n’a pas retrouvé son gibier. Je retrouve ma flèche couverte d’un sang bulleux, bon présage. La recherche sur une soixantaine de mètres à quatre pattes dans la coulée, goutte de sang après goutte de sang, nous permettra de retrouver l’animal mort en quelques secondes.

Le retour de nuit sur plusieurs kilomètres avec le cochon sur le dos rajoutera de la puissance aux souvenirs. Une belle quête achevée de manière idéale et la conclusion magistrale d’un séjour d’amitié, de chasse, d’exotisme et d’émotions intenses partagées.
Vous voulez aller chasser sur l’île Maurice : Lionel Passion Guide