Les chiens de rouge

Les chiens de rouge

Confidentiels en France, les chiens de rouge de Hanovre et de Bavière représentent l’excellence de la conception germanique de la chasse, en matière, notamment, de recherche d’animaux blessés, grâce à une sélection d’une grande rigueur.

Ce sont des chiens que l’on admire autant qu’ils nous intriguent. L’un est plus puissant que l’autre, mais tous deux affichent une très belle robe, le plus souvent rouge feu, parfois bringée*, à poil ras, et sont reconnaissables à leur truffe très foncée, voire noire, à leur forte ossature et à leurs longues oreilles de chiens courants : ce sont les rouges de Hanovre et les rouges de Bavière. Deux races très confidentielles chez nous puisque, à elles deux, elles enregistrent moins d’une cinquantaine de naissances par an, selon les chiffres du Club Français du Chien de Rouge de Hanovre et de Bavière.

Les chiens de rouge : photo 2
Les chiens de rouge : photo 3
Hanovre à gauche, Bavière à droite, le second se distingue du premier par un gabarit plus léger.

DES ORIGINES REMONTANT AUX CHIENS DU SAINT-EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE

On le devine : outre-Rhin, ils sont éminemment connus, tant il est vrai qu’ils symbolisent à bien des égards la conception germanique de la chasse, avec un chasseur, canne de pirsch à la main, jumelant, son rouge à ses pieds. Mais quels sont donc ces chiens ? Comme souvent, ces deux races ont été fixées au XIXème siècle. Le rouge de Hanovre est apparu le premier, vers 1850 (il pèse entre 27 et 35 kilos, soit dix de plus que son cousin de Bavière). Il trouve son origine dans les chiens de limiers des équipages de vénerie de l’Empire germanique, à l’époque où l’on chassait encore à courre de l’autre côté du Rhin. Mais les conquêtes napoléoniennes et la création de la Confédération du Rhin précipitent sa chute : le Saint-Empire disparaît en 1806 et va être « éclaté » en une quarantaine d’États. Ce bouleversement va évidemment affecter les passions des princes allemands ; c’est le cas de la chasse à courre qui va peu à peu tomber en désuétude au gré des interdictions dans les différents Etats. Des interdictions qui surviennent concomitamment à l’émergence de la chasse à tir.

Les chiens de rouge : photo 4
Ici, un guide de chasse autrichien et son rouge de Bavière, image d’Épinal de la chasse germanique.

HÉRITIERS DE LA VÉNERIE

Toutefois, tout l’héritage de la vénerie n’est pas balayé. En effet, certains limiers sont conservés et repris dans des écoles de chasse, les célèbres Jägerhof, où étaient formés des chasseurs professionnels rattachés aux différentes cours princières. Ils étaient chargés, entre autres, du dressage et de l’entretien des chiens, et avaient pour mission de mettre au point des chiens destinés à rechercher les animaux blessés (une recherche obligatoire qui découle de la fameuse Hege, sorte de code d’honneur du chasseur qui remonte au XVIème siècle). C’est ainsi que le rouge de Hanovre va s’imposer. Il serait issu d’un chien aujourd’hui disparu, le Haidbracke (ou « chiens des landes »), et de ces anciens limiers « abrités » dans une Jägerhof : un croisement audacieux qui donnera de remarquables pisteurs, très fins de nez, calmes et appliqués.

Les chiens de rouge : photo 5
Résultat concluant d’une recherche. Il aurait été particulièrement regrettable de perdre ce sanglier, de surcroît un magnifique solitaire.

LE BAVIÈRE, UN HANOVRE ALLÉGÉ

À rebours, le rouge de Bavière est un descendant du Hanovre à qui l’on a « instillé » un autre sang, pour pouvoir chasser à tir des animaux de montagne dans des milieux très escarpés et accidentés. Au début, des Hanovre sont utilisés, mais ils ne conviennent pas vraiment, car ces chiens un peu lourds (en montagne, cela ne pardonne pas !) poursuivaient sans donner de la voix (en raison de leurs origines de limiers), handicap supplémentaire dans un environnement escarpé. Aussi, des rouges de Hanovre vont être croisés avec des chiens autochtones (chiens courants du Tyrol et de Styrie), connus pour leurs qualités de « chiens de rouge » : le rouge de Bavière était né. Aujourd’hui encore, ces deux races continuent de faire l’unanimité, car elles sont toutes deux capables d’empaumer la voie d’un grand gibier en toute saison, autant la voie chaude (c’est-à-dire l’animal vivant) que froide (animal mort), jusqu’à 48 heures après le coup de feu. La force de ces deux races, c’est qu’elles n’ont rien perdu de leurs origines, ni de leurs spécificités. Sans doute parce que les clubs de race ont su être exigeants, afin de ne pas les abâtardir.

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UN DRESSAGE EXIGEANT

Et ce ne sont pas de vains mots. Progressivement, dès leur plus jeune âge, les chiens de rouge vont être conditionnés, avec une peau de sanglier qui sera traînée avec une ficelle sur un mètre, sur 100 mètres, jusqu’à 1000 mètres en augmentant les difficultés. La notion de temps est prise en compte : au début, le jeune chien sera amené sur la voie quelques minutes après, puis une heure, jusqu’à 24 heures et ce, quelles que soient les conditions météorologiques. Le jeune chien doit être capable d’assimiler ces exercices à six mois. Puis vient le travail avec les semelles traçantes : sur leur face inférieure sont placés des onglons de sanglier (car la voie est forte, donc excitante) afin de pouvoir établir une piste saine et froide. Le raisonnement est simple : si un chien peut empaumer une voie froide, il n’aura aucune difficulté pour un animal vivant ou blessé, car c’est l’instinct de prédation qui lui fera choisir le blessé par rapport au non-blessé.

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UNE SÉLECTION DRASTIQUE

Le conducteur met en place, ensuite, des conditions de chasse, c’est-à-dire la création d’un faux Anschuss** (où l’on frotte la peau de sanglier un peu plus fortement), qui sera balisé (avec deux virages à angle droit). Puis on laisse quêter le chien avec une laisse de 5 mètres : il doit trouver l’Anschuss, puis suivra la voie, pour arriver à la peau qu’on lui laissera mordre. À un an, le chien devra réussir son TAN (Test d’Aptitude Naturelle). Sur une piste d’un kilomètre de long et laissée froide pendant 24 heures ; au coup de feu, le chien ne doit pas bouger, restera seul pendant une demi-heure, avant d’être repris et amené sur la voie (mais il n’aura le droit de s’écarter que deux fois). Tout cela permet de vérifier le calme et le sérieux du chien. Après, et seulement après, le chien sera amené sur du gibier vivant avec une vraie recherche, suivie d’une menée sur plus de 300 mètres, avec mise au ferme ! C’est grâce à cette sélection que les chiens de rouge ont su conserver ce pour quoi ils ont été sélectionnés, et c’est dans cet objectif que le club exige des stages de formation.

* Bringée : se dit de la robe de certains animaux domestiques présentant des rayures discontinues.
** Anschuss : endroit où la balle a atteint le gibier.